Publié le 1er décembre 2010
François Daubert a retrouvé le sourire. Depuis 2003 ans, le propriétaire du Domaine de Joliet, à Fronton, cherchait une solution pour transmettre le chai qu’il exploitait avec son épouse, Marie-Pierre. Le couple est passé par tous les stades d’espoirs et de déceptions, au point d’être à deux doigts de démanteler le chai et arracher les vignes. Jusqu’à ce que la providence se décide enfin à leur sourire…
Rien ne va plus…
« Nous voulions vraiment transmettre notre patrimoine », insiste François Daubert. « Seulement, aucune de mes deux filles n’était intéressée. Restait ensuite la vente simple du domaine. Mais malheureusement, ce genre de propriété dans le frontonnais n’est pas très recherché. Nous avons donc décidé de trouver quelqu’un qui accepte de prendre la suite, avec lequel nous étions prêts à faire un accompagnement pendant 3 ans pour assurer la transmission, tant au niveau technique viticole et vinicole, que commercial. » Les choses se présentaient bien. Ils avaient trouvé un jeune qui travaillait sur une propriété voisine. « Techniquement, il était prêt », poursuit François. « Commercialement, un peu moins. Cependant, notre accompagnement sur 3 ans le rassurait. Mais c’est au moment où il a fallu passer à l’aspect financement qu’il a pris peur. Il a reculé et préféré rester salarié. » Très déçus par ce revirement, les Daubert essayent alors de vendre. « Nous n’avons vu que des requins », lâche François. « Donc, puisque personne ne semblait vouloir de notre domaine, on s’est résolus à jeter l’éponge. La mort dans l’âme, on a arraché une partie des vignes, mis le reste en fermage et commencé à écouler notre stock pour arrêter définitivement, une fois tout vendu. » Et c’est là que tout bascule. Le voisin viticulteur qui avait pris les vignes en fermage vient un jour leur demander ce qu’ils comptent faire du chai.
Saisir l’occasion
Jérôme et Marie-Ange Soriano, coopérateurs à la Cave de Fronton depuis 1987, avaient depuis longtemps l’idée de s’installer comme vignerons indépendants. « On s’est toujours dit que si l’opportunité se présentait, on la saisirait », raconte Jérôme. « Avec la crise, on a commencé à se poser de sérieuses questions sur l’avenir de nos 40 ha de vignes, qui ne nous rapportaient plus grand-chose et nous obligeaient à avoir un salarié. » Prudents, ils avaient débuté une activité de négoce de bois, histoire de diversifier et sécuriser leur revenu. Cela s’est avéré payant puisque, grâce au bois, l’exploitation arrive à redresser ses comptes. Jérôme et Marie-Ange se trouvent alors à un carrefour. « On a failli arrêter la viticulture pour ne plus se consacrer qu’au bois », se souvient Jérôme. « Mais arracher des vignes sur lesquelles vous travaillez depuis 20 ans, ça fait mal au cœur. Sans compter qu’on avait toujours cette envie de mener notre production jusqu’au bout de la chaîne. Jusque là, il nous manquait les fonds, l’opportunité et le savoir-faire vinicole. C’est pourquoi quand François nous a dit qu’il comptait tout liquider, on a décidé de nous lancer. » Au début, François Daubert hésite. Échaudé par la précédente tentative, il avait fait une croix sur la transmission. C’était compter sans la motivation des Soriano. Ensemble, ils consultent un cabinet d’avocat spécialisé dans les affaires agricoles, à Albi. « Ça a été le déclencheur », reconnaît Marie-Pierre Daubert. « L’avocat a très vite compris la complexité du problème et nous a amenés à nous poser les bonnes questions. Rapidement, le projet a pris forme et, les vendanges arrivant, on s’est retrouvés à travailler ensemble, presque sans nous en rendre compte. » Restait cependant un point à résoudre. Là aussi, la chance sera au rendez-vous.
Une arrivée providentielle
« Dans notre accord, il était convenu que François m’apprendrait ce qu’il savait en vinification, pendant les 3 années de transition », explique Jérôme Soriano. « Mais on ne s’improvise pas œnologue en 3 ans. Il est donc vite apparu qu’avoir une personne spécialisée au chai et à la vigne était quasiment indispensable pour ne pas se rater. » Mais trouver ce genre de second d’exploitation n’est pas une mince affaire. Peu nombreux sont ceux qui maîtrisent la vigne et le vin, voire qui acceptent de quitter le chai… Alors quand ils rencontrent Pauline, juste avant les vendanges, nos quatre prospecteurs savent immédiatement qu’ils viennent de dénicher la perle rare. « On pensait embaucher un BTS et le former au fur et à mesure », poursuit François Daubert. « Et voilà qu’arrive Pauline, une jeune fille de 24 ans qui habite à côté d’ici et qui a une formation allant du Bac agricole, en passant par un BTS, jusqu’au diplôme national d’œnologie (DNO), obtenu à Toulouse en 2009. C’était vraiment inespéré. D’autant que le courant est passé tout de suite. » De fait, l’entente entre les deux couples et la jeune œnologue est visible. Et surtout salutaire pour l’avenir du projet. « Je suis beaucoup plus serein pour la transmission », avoue Jérôme Soriano. « J’ai quelqu’un sur qui me reposer pour cette partie très technique. Les rails sont désormais bien en place. Nos voisins et collègues nous considèrent comme courageux ou suicidaires, c’est selon. Mais nos banques sont confiantes dans la réussite de notre entreprise. Nous aussi… Nous avons la volonté et les compétences. Il n’y a plus qu’à concrétiser. »
Le mot de la fin revient à François Daubert : « On revient de loin. Mais on est fier d’avoir mis en place un accord gagnant/gagnant avec Jérôme et Marie-Ange. Pour nous, cela nous permet de valoriser un patrimoine qu’on aurait dû démanteler. Pour eux, ils acquièrent un outil en bon état de marche et une marque « Château Joliet » connue, avec un réseau commercial et une clientèle fidèle. La seule chose qui soit moins facile pour moi est d’admettre que cet outil et ce domaine ne sont plus à moi. Et qu’il me faut, petit à petit, lâcher prise. » Mais il y survivra, précise-t-il en souriant largement.
Le vin dans le sang…
Depuis toujours, Pauline sait qu’elle travaillera dans le monde du vin. « Le fait d’être une fille n’a pas posé de problème particulier. En DNO, on était quasiment à parité avec les garçons. Les filles arrivent à faire leur place, petit à petit. Il faut dire que les conditions de travail dans les chais ont bien évolué. La force physique est donc moins un critère. » De toute façon, Pauline n’est pas du genre à se laisser arrêter pour si peu. À la différence de nombreux œnologues, elle a une vraie passion pour la partie production. « Je ne concevais pas de travailler seulement dans une vigne ou dans un chai. Je voulais les deux », assène-t-elle. « Je savais que les postes étaient rares. La crise aidant, le milieu de la production viticole est bouché, surtout pour des bac +5. C’est pourquoi beaucoup partent à l’étranger ou se tournent vers le commerce, ce qui ne m’intéresse absolument pas. J’ai cherché pendant un an sans voir d’offre qui corresponde. Mais je m’étais promis que si je ne trouvais pas, je m’installerais, quel que soit le temps que ça prendrait. » Une détermination qui a fini par payer. Quand elle a vu l’annonce du Château Joliet, elle a foncé. « J’ai eu beaucoup de chance », avoue-t-elle. « Ce travail correspond parfaitement à ce que je recherche. L’ambiance est formidable, tout se fait naturellement. J’ai encore beaucoup à apprendre mais je sais que je peux compter sur le soutien de François et son expérience de la vinification. »