Publié le 12 octobre 2010
Comment faire quand on possède une exploitation d’une centaine d’hectares dans le Lauragais, dont plus des 2/3 sont en coteaux secs ? C’est le problème auquel a dû faire face Élisabeth Gabolde, il y a 30 ans. Elle y a si bien répondu qu’elle a été distinguée au dernier Salon de l’agriculture de Paris !
Un choix de raison devenu passion
Installée à Saint-Félix, Élisabeth Gabolde s’est vite rendue à l’évidence qu’il était impossible d’envisager des céréales dans les 60 ha de pré-bois et prairies quasiment inaccessibles qui composent ce que l’on appelle ici « les fourches du Lauragais ». Avec François, son mari, elle a alors décidé de se lancer dans la production ovine. « Il nous fallait une race la plus rustique possible, qui pourrait passer la majeure partie de l’année dehors, tout en s’adaptant à la végétation particulière de nos coteaux », se souvient Élisabeth. « Notre choix s’est porté sur la race limousine. Un voisin arrêtait son élevage et nous avons racheté ses 30 agnelles. C’était un pari, car la limousine est issue du plateau de Millevaches, entre Creuse et Corrèze, où les conditions climatiques (sols acides, altitude, humidité et hivers rigoureux) sont presque l’inverse d’ici. » La limousine s’est pourtant adaptée sans problème à son nouveau milieu. Selon Élisabeth Gabolde, elle aime la marche, se contente de végétation ligneuse voire arbustive quand il n’y a que ça à manger. « C’est une très bonne mère et surtout, elle reste très prolifique malgré sa rusticité », souligne l’éleveuse. Très rapidement, les brebis se sont révélées inscriptibles au livre généalogique de la race et ont donc été intégrées aux fichiers de l’UPRA section ovine limousine (voir article tout en bas). C’était le début d’une aventure technique et humaine qui conduira les deux éleveurs aux plus hauts niveaux de la performance génétique de la race.
Patience et longueur de temps…
« Il faut de la patience et de la rigueur pour développer une génétique performante », explique Élisabeth Gabolde. De fait, il lui faudra environ 15 ans pour être repérée puis recommandée par l’UPRA auprès des acheteurs potentiels d’agnelles limousines. Avoir un bon renouvellement de leur cheptel l’a conduite à faire de la sélection dès le départ. « Pour mesurer notre progression, la mesure de croissance des agneaux par des pesées à âge type nous donnent un aperçu de la valeur laitière des mères. C’est Guillaume Desmery, de la Chambre d’Agriculture, qui réalise ces pesées, que l’on appelle Contrôle de performances », précise François Gabolde. « Avec les enregistrements journaliers des mises bas, cela nous a permis de sélectionner nos brebis les plus prolifiques. » Le couple a également opté pour l’Insémination Artificielle (IA). « Un quart des brebis environ est en IA », poursuit Élisabeth. « Cela nous donne accès aux meilleurs béliers de la race et contribue à l’amélioration génétique de notre cheptel. Cela nous a permis d’être reconnus et de pouvoir vendre, dès lors, des agnelles sélectionnées. » Étant inscrit à l’UPRA, ce minutieux travail de l’élevage Gabolde était, bien entendu, enregistré et suivi de près. « Par l’UPRA, nous sommes connectés nationalement aux 60 autres sélectionneurs de la race », souligne l’éleveuse. « Cela nous permet de nous positionner par rapport aux autres et de mesurer nos progrès. » Des progrès qui, de la même façon, ne sont pas restés inaperçus de l’UPRA.
La crème des éleveurs
C’est ainsi que le 4 mars dernier, lors du Salon International de l’Agriculture de Paris, Élisabeth Gabolde s’est vue décerner le 1er prix du Challenge Génétique National de la race ovine limousine. « On a été assez surpris », avoue la lauréate. « Nous n’étions pas présents sur place. C’est un prix qui porte sur la valeur globale du troupeau et non pas sur un animal en particulier qui est présenté en concours. » Plusieurs critères sont pris en compte par l’UPRA, comme le pourcentage de femelles de renouvellement issues de « mères à béliers » (qui constituent l’élite de la race) ou encore le pourcentage de mères à béliers au sein du troupeau, ou la résistance à la « tremblante », trois domaines où les Gabolde excellent particulièrement. Un peu pris de court par la nouvelle, les époux Gabolde n’en sont pas moins fiers d’avoir réussi à se hisser au niveau des éleveurs du berceau de la race. Sans compter que ce genre de publicité donne un sacré coup de pouce pour vendre ses bêtes. Mais cette distinction n’est ni un but, ni un aboutissement pour ces éleveurs. Juste une reconnaissance d’une façon de travailler qui ne laisse rien au hasard.
Une organisation simple mais efficace
La limousine n’étant pas une race parfaite pour la boucherie, en termes de conformation, Élisabeth et François Gabolde ont décidé de croiser la moitié du troupeau avec des Suffolk, une race anglaise. Cela permet de mieux valoriser les mâles en boucherie, ainsi que les femelles qui n’ont pas été retenues pour la reproduction. Ils ont également opté pour le groupage des mises bas. « Nous ne faisons qu’une seule lutte par an, fin octobre », explique-t-elle. « Les mises bas ont lieu fin mars, au moment où le troupeau monte dans les coteaux. Les brebis partent donc pâturer avec leurs agneaux. Sur place, ceux-ci ont, en complément du lait maternel, un nourrisseur sélectif avec de l’aliment calibré qu’ils retrouvent fin juin, quand on les rentre en bergerie, après le sevrage. Là, ils sont finis avec du foin et cet aliment composé de 80% d’orge et 20% de complément azoté labellisé, en libre-service, pour atteindre les 35 à 40 kg de poids vif. Les brebis se nourrissent d’herbe et de ligneux, en pâturage, et de foin quand elles sont en bergerie. Juste avant la lutte et après les mises bas, nous les complémentons avec 400 gr d’orge par brebis. » C’est, d’après eux, un système simple. Mais qui connaît ses périodes de travail très intensif. « Entre avril et mai, il est hors de question pour nous de bouger d’ici », insiste François. « Avec le groupage de mises bas, nous avons jusqu’à 90 naissances en 5 jours. Nous nous relayons la nuit pour les surveiller. » Ce n’est donc pas un métier de tout repos. Mais dans l’ensemble, les Gabolde ne se plaignent pas. « En moyenne, on dégage dans les 600 €/ha de marge brute, DPU compris », déclare Élisabeth. « Plutôt pas mal pour des coteaux secs dont personne ne veut ! »
Avec beaucoup d’efforts, de technique et de persévérance, Élisabeth et François Gabolde ont su exploiter tout le potentiel d’une région pas toujours facile à travailler. La médaille au concours général agricole de Paris n’aura fait que confirmer le professionnalisme de deux éleveurs, amoureux du travail bien fait. « On aime à se dire qu’on gagne notre vie en faisant de la qualité et en contribuant activement à préserver et entretenir ce beau paysage du Lauragais », termine François. « On nous a quand même glissé que notre prix avait un peu vexé nos amis corréziens, qui dominent habituellement ce concours », glisse Élisabeth, en souriant. « On va donc essayer de continuer à les titiller. Après tout, la grande gagnante de ce genre de compétition reste toujours la race limousine. »
L’exploitation en chiffres
- 60 ha de prairies en coteaux secs
- 35 ha de céréales (blé dur)
- 05 ha de surfaces fourragères (orge, luzerne, fétuque…)
- 2 UTH (Élisabeth est chef d’exploitation et François, conjoint collaborateur)
- 2 bergeries dont une de 1997, avec 270 places : le fumier retiré permet de fertiliser 10 ha de céréales
- Évolution du cheptel :
› 1983 : 30 agnelles
› 1997 : 120 brebis
› 2000 : 350 brebis
› 2010 : 223 brebis et 8 béliers
- Chargement : 3 à 4 brebis/ha
- Productivité numérique pour 225 brebis : 350 agneaux vendus par an (soit 1,5 à 1,7 agneau/brebis)
- Taux de réussite sur IA : 90% environ
- Taux de mise bas supérieur à 95%
Le saviez-vous ?
Qu’est-ce qu’une UPRA ?
Dans les années 70, l’État, dans la Loi sur l’Élevage, a décidé de créer, pour chaque race, une UPRA (Unité Nationale de Sélection et de Promotion de Race) comme structure de coordination, dans l’intérêt de la race. L’ensemble des acteurs concernés s’y retrouve pour :
– définir les caractéristiques de la race et certifier l’appartenance ou non d’un animal à cette race ;
– définir les orientations de la race et préciser ses objectifs de sélection ;
– définir le programme d’amélioration génétique de la race ;
– assurer la responsabilité de la tenue du fichier racial informatisé ;
– qualifier les reproducteurs ;
– tenir le Livre Généalogique et délivrer les documents officiels aux reproducteurs ;
– promouvoir la race, son programme de sélection et l’ensemble de son matériel génétique.
Étant spécifique à une race qui peut être élevée en divers endroits de France, une UPRA n’a pas de territoire attitré.