Publié le 7 octobre 2010
Genos, petite commune du canton de Barbazan, le 11 septembre dernier. Une foule inhabituelle, venue des 4 coins du pays, mais aussi d’Espagne, d’Italie et du Portugal, a envahi le GAEC des Ruchers de Sainte Marie, chez Maurice et Ghislaine Morlière. Autour d’un bâtiment flambant neuf, une multitude de stands de producteurs et d’artisans locaux, et enfin une imposante présentation de camions et outils de levage de la CUMA Apicole du Haut-Comminges. Si cette journée a drainé autant de visiteurs, c’est que l’évènement revêt une importance particulière, autant pour la famille Morlière, qui produit et vend du miel depuis 1963, que pour la filière apicole locale.
Miellerie moderne pour apiculture d’aujourd’hui
Dans un bâtiment clair et spacieux, deux chaîne d’extraction du miel, dont une en démonstration, côtoient un atelier de conditionnement, une boutique de vente de produits à base de miel et même un musée de l’apiculture et une serre aux abeilles. « Cela fait 3 ans que toute la famille travaille sur ce projet », précise Maurice Morlière. « Au-delà de son utilité en terme de confort de travail, nous avons voulu ajouter un côté pédagogique pour expliquer notre activité aux enfants comme aux adultes. Montrer à tous qu’un apiculteur peut être professionnel, vivre exclusivement de son activité, avec un équipement moderne, le tout sans perdre son âme d’artisan passionné par son métier. » Loin de l’image du brave amateur ou retraité avec ses 4 ruches au fond du jardin, les Ruchers Sainte Marie sont en effet au cœur d’une organisation bien rodée, mise en place depuis plusieurs années par un groupe d’apiculteurs commingeois, réunis dans 2 structures. Tout d’abord, la CUMA apicole du Haut Comminges regroupe tout le matériel d’extraction, de conditionnement et de transhumance. Elle est actuellement équipée de 4 camions avec grues, 2 chaînes d’extraction (une à Genos et une à Luchon) et 2 chaînes conditionnement. Avec 7 adhérents, la CUMA produit environ 60 tonnes de miel par an. Ensuite, vient la SARL Union Pyrénées Miel. « C’est notre ancienne coopérative de vente de miel en gros. Elle a changé de statuts en 1999 », explique Maurice Morlière. « Cette structure nous sert à commercialiser nos produits et nous permet de grouper notre offre et celles des apiculteurs de la région. Quand on négocie 250 à 400 t/an, on est mieux placés pour faire face à la concurrence nationale et internationale. Nous l’utilisons aussi pour acheter les fournitures en grosses quantités. Par exemple, nous importons des ruches du Portugal, par camions. C’est un moyen pour nous de baisser nos coûts de production mais également d’avoir une petite activité commerciale en les revendant à prix intéressant aux apiculteurs du secteur. C’est un service de proximité en plus. »
Solidarité et partage des tâches
« Ce bâtiment est sorti de terre sans la moindre aide financière extérieure », rappelle Maurice. « Si ce projet a pu voir le jour, c’est qu’il est le fruit d’un vrai travail collectif. Les apiculteurs du groupe ont été d’une solidarité exemplaire, qui fait honneur à notre profession. Et sans l’aide et le dévouement de nos salariés, des artisans et bénévoles qui ont suivi ce chantier, rien n’aurait été possible. » Cette solidarité est sans conteste un des moteurs de l’apiculture du secteur. Cyril Morlière, fils aîné de Maurice et Ghislaine, a rejoint ses parents en 2007. Passionné d’apiculture, comme ses parents, il apprécie surtout l’ambiance qui règne au sein du groupe, que ce soit à la CUMA ou à l’Union Pyrénées Miel (UPM). « Il n’y a pas de compétition entre nous », se félicite-t-il. « À l’UPM, certains associés ont 100 ruches, d’autres 1.000. Mais personne ne cherche à faire la course avec ses collègues. Il y a énormément d’entraide, on se répartit les tâches et tout se passe très bien. Quand on se rencontre sur les lieux de transhumance ou en réunions de travail de groupe, nos discussions nous servent avant tout à avancer. L’esprit est de tirer tout le monde vers le haut. »
Une touche d’avant-gardisme et d’anticonformisme
On aime à ne rien faire comme tout le monde du côté du haut Comminges. Visionnaires et très réalistes, les apiculteurs du groupe ont très vite pris des décisions et mis en place des solutions jugées parfois iconoclastes dans le milieu. La raison d’être de la SARL UPM vaut ainsi son pesant de miel. « La coopérative de vente en gros a été créée dans les années 90 », se souvient Maurice. « Mais nous avons vite craint de perdre un jour la maîtrise de notre outil en restant sous la forme d’une coopérative, si de nouveaux adhérents venait à mettre le groupe fondateur en minorité. On a donc créé la SARL, chose dont on se félicite tous les jours depuis… » Mais la plus parlante des preuves est bien la CUMA du Haut-Comminges. C’est, à ce jour, la seule et unique CUMA apicole de France !
Même l’inauguration a donné lieu à une première en France. À côté de la chaîne d’extraction de la CUMA se trouvait, en démonstration, une chaîne d’un constructeur concurrent. « Alors que la mise en concurrence est chose courante dans le monde agricole, cela ne s’était jamais fait en apiculture », souligne Maurice. « Il a fallu batailler pour y arriver. Cela fait partie des choses qu’on essaie de bousculer dans notre profession. Si on n’évolue pas, on recule. »
Au vu de l’affluence lors de l’inauguration, la méthode Haut-Comminges a de nombreux adeptes, ou du moins suscite beaucoup de curiosité.
Et si les visiteurs ont été attendris par la petite Inès, fille de Cyril Morlière, qui a ouvert symboliquement les portes de la miellerie, dans son costume d’abeille, la plupart a également dû repartir avec une vision changée de l’apiculture. « Notre but était de nous faire connaître de nos collègues et du grand public », sourit Maurice Morlière. « Je pense qu’on n’a pas trop mal réussi. »
Coup de gueule
« Arrêtons de dire n’importe quoi ! »
Cyril Morlière a aussi hérité du franc-parler de son père. Et s’il y a une chose qui l’agace profondément actuellement, c’est l’opposition que font les médias entre apiculture des villes et apiculture des campagnes. « On a des représentants syndicaux apicoles qui se font un plaisir de suivre la grande mode du moment de mettre des ruches en ville », déplore-t-il. « Il est question actuellement de mettre en place des « ruches sentinelles » à Toulouse. Du coup, on voit fleurir de partout des articles et des reportages comme quoi le miel des villes est meilleur que celui des campagnes, etc. C’est du n’importe quoi et ça ne sert qu’à causer du tort à l’apiculture. Je défie quiconque de me trouver un emplacement où mettre 1.000 ruches à Toulouse. C’est impossible. Or, rien que dans notre groupe d’apiculteurs, on totalise près de 5.000 ruches. Et notre miel n’a rien à envier à celui de la ville ! » Cyril ne se reconnaît pas dans les positions des organismes apicoles nationaux, à qui il reproche de vouloir systématiquement « casser de l’agriculture ». « Nous sommes tous concernés par le grave problème de mortalité des abeilles. Mais dès qu’une abeille meurt, on va tout de suite accuser les agriculteurs et les pesticides. Or chez nous, on a eu de grosses pertes à 1.200 mètres d’altitude, alors qu’il n’y a pas une seule culture à 20 km à la ronde. N’en déplaise à certains qui voient en nous des industriels du miel parce qu’on a un bâtiment neuf, nous sommes des professionnels et la vente de miel est notre unique revenu. Il serait donc temps que nos représentants se penchent vraiment sur les causes de ce problème, au lieu de se contenter de flinguer pour des raisons politiques des agriculteurs qui sont nos partenaires de toujours. »