Zéro phytos : le principe de réalité

Publié le 28 décembre 2015

Le 22 juillet 2015, l’Assemblée Nationale a adopté une loi prévoyant l’interdiction de l’utilisation des phytosanitaires dans les espaces publics, dès le 1er janvier 2017 (au lieu de 2020, comme le prévoyait initialement la loi Labbé de 2014). L’interdiction d’utilisation par les particuliers prendra effet le 1er janvier 2019 (au lieu de 2022). Devant ce raccourcissement des délais, des étudiants de BTS du CFPPA d’Auzeville ont voulu prendre l’avis de plusieurs professionnels et experts de l’aménagement paysager. Une centaine d’élèves, professeurs, élus locaux et chefs d’entreprises paysagères sont ainsi venus assister à une table-ronde, le 11 décembre dernier dans l’amphithéâtre de la Cité des Sciences Verte.

Changer les mentalités

Les « mauvaises » herbes sont-elles si mauvaises ? Est-il si dérageant de voir des adventices sur les trottoirs ou espaces publics ? « À Amsterdam, elles sont bien acceptées par la population », note Corinne Pinel, jury Villes et Villages Fleuris. « Ce n’est qu’une question de mentalité. » Plusieurs villes françaises font le choix désormais de laisser faire la nature. Nantes laisse ainsi pousser les herbes dans ses cimetières. Auch a sélectionné des essences de plantes peu invasives qu’elle laisse se développer pour végétaliser ses avenues. Mais c’est quand il s’agit de gérer une trop forte prolifération que les choses se compliquent. Corine Pinel reconnaît qu’il faut savoir trouver un juste milieu entre le traitement chimique systématique et le zéro phyto. Un point de vue partagé par Romain Bosc, de la société Atout Vert. En trois ans, l’entreprise a réussi à réduire de 30% sa consommation de produits phytosanitaires. « Il a fallu changer les habitudes des salariés, qui avaient tendance à surdoser ou utiliser un désherbant total plutôt que sélectif », explique-t-il. « Nous avons aussi changé les buses des pulvérisateurs. Nous avons testé des alternatives, comme le brûlage ou le binage. Mais il faut reconnaître que les salariés sont réticents à repasser à la binette. Nous n’avons pas encore trouvé de solution miracle. » Le Maire d’une petite commune a, lui, pris les choses personnellement en main. Après une pollution accidentelle au glyphosate, il en a fait supprimer l’utilisation sur sa commune. Les employés entretiennent les espaces publics par brulage et binage. « J’ai moi-même désherbé le cimetière manuellement. Il faut moins de 60 heures par an. C’est donc réalisable », estime-t-il. « Mais si chaque personne s’occupait déjà de nettoyer le bout de trottoir devant sa porte, on gagnerait beaucoup de temps et d’efficacité. »

Le danger du « zéro tout »

Plusieurs élus étaient venus témoigner de leurs expériences ou poser leurs questions sur l'interdiction des produits phytosanitaires.
Plusieurs élus étaient venus témoigner de leurs expériences ou poser leurs questions sur l’interdiction des produits phytosanitaires.

Ces propos ont fait réagir Philippe Beuste, patron de la société Lauragri Services. « C’est comme si vous interdisiez la circulation en voiture sur votre commune, suite à un accident de la route », estime-t-il. « La voiture est un outil dangereux. C’est bien pour cela qu’il y a un permis pour apprendre à l’utiliser. C’est pareil pour les phytosanitaires. Avant, on les utilisait sans formation et c’est vrai qu’il y a eu de nombreux problèmes. Depuis plusieurs années, ce n’est plus le cas. Nous appliquons les bonnes doses aux bons endroits, avec du matériel de qualité et du personnel formé. Il faut donc relativiser les risques liés à nos pratiques. Sur mon entreprise, le produit le plus dangereux reste le carburant des véhicules de la société. Le super sans plomb est hautement toxique et cancérigène. Si on appliquait les normes de sécurité, tous les citoyens devraient obligatoirement porter un masque à chaque plein de sa voiture… »

Pour Philippe Chipaux-Martinet, Président de l’UNEP Midi-Pyrénées* et Président du CFA d’Auzeville, il va y avoir un gros travail de pédagogie à faire. « Les communes avec qui nous sommes sous contrat vont nous demander le même résultat, au même prix, mais sans produits phytosanitaires », explique-t-il. « Mais sans alternatives techniques viables, on ne sait pas faire. Passer au désherbage manuel, c’est une facture multipliée par 10. Aucune collectivité ne va l’accepter… »

Des ateliers organisés en 2ème partie de journée étaient destinés à présenter des expériences et alternatives aux traitements chimiques. Mais l’inquiétude des professionnels de la filière est réelle. « On met la charrue avant les bœufs », était le sentiment le plus entendu, ce jour-là. « Interdire avant d’avoir des solutions de remplacement est dangereux. Mais tout devient compliqué dès qu’on parle de phytosanitaires… »

 

* Union Nationale des Entrepreneurs du Paysage

 

Auteur de l’article : Sébastien Garcia