Publié le 20 novembre 2016
Le métier d’agriculteur change vite. Très vite. Pour rester à la page, la formation est plus que jamais indispensable. « Mais les formations « à la papa », avec des stages de trois journées de 8 heures en salle, c’est fini », estime Christiane Lambert, Présidente nationale de VIVEA, le fonds d’assurance formation des agriculteurs. « Avec l’avènement du numérique, les jeunes générations et de plus en plus d’agriculteurs aspirent à se former différemment. Et nous nous devons de répondre à ces attentes. » Après la demande de VIVEA national de se pencher sur la question, la délégation Sud a été la première à dégainer. Le 15 novembre 2016, elle a organisé un colloque doublé d’une journée de travail à Labège, sur le thème « Formation Mixte Digitale. »
Anticiper plutôt que subir
120 professionnels de la formation se sont retrouvés pour échanger sur les nouveaux outils numériques d’apprentissage ou d’acquisition de compétences et les moyens de les intégrer à la formation des agriculteurs. De préférence sans les perdre en route… Il y a, en effet, une « fracture numérique » qui apparaît dans nos campagnes. Elle est sur deux niveaux. Tout d’abord physique, avec la couverture internet qui oublie toujours de nombreuses zones rurales. Mais pour Christiane Lambert, la principale est d’ordre psychologique. « Beaucoup d’agriculteurs ont soit le sentiment que c’est trop compliqué pour eux, soit qu’ils n’ont pas besoin du numérique », estime-t-elle. « Dans les années 60, l’apparition du tracteur et de la comptabilité ont également été des révolutions dans la façon de travailler et d’organiser son travail. Ceux qui s’y sont refusés, dans un premier temps, ont perdu 10 ans, quand ils n’ont pas simplement disparu. C’est pareil pour le numérique, qui est une véritable révolution que nous devons anticiper pour ne pas la subir. Notre rôle, à VIVEA, est donc d’emmener un maximum de monde dans ce train et de partir suffisamment tôt. »
Démystifier le numérique
Cloud, big data, MOOC, serious game, etc., le jargon lié aux nouveaux outils numériques a de quoi effrayer le néophyte. Pourtant, une fois traduits et expliqués, ces anglicismes perdent de leur mystère et se révèlent porteurs de nouveaux horizons et d’atouts dans de nombreux domaines. Gaëtan Séverac, fondateur de la société toulousaine Naïo Technologies, n’était ainsi pas venu à ce colloque uniquement pour présenter ses robots de désherbage. « Malgré la technologie, ce n’est au final qu’un outil à soc ou à dent autonome », résumait-il. « Mais outre la suppression d’une tâche physiquement pénible, l’avantage de ces robots réside aussi dans les données qu’ils collectent pendant leur travail : évaluation des rendements, repérage d’incidents de culture, etc. » Avec l’arrivée dans les exploitations d’outils connectés, les tracteurs, les salles de traite, les déclarations comptables, …, deviennent des mines d’or de données. Les acquérir, les stocker, les utiliser pour raisonner et intervenir, voilà ce que les agriculteurs doivent apprendre aujourd’hui. Et si cela semble compliqué, Christiane Lambert conseille de ne pas s’en faire une montagne. « Il faut dépasser nos réticences et nous former. De plus en plus de tâches sont automatisées, sur nos exploitations, et permettent de dégager du temps que nous pouvons consacrer à la formation. » L’essentiel est donc de s’y mettre… et pas seulement pour les agriculteurs. Les organismes de formation et leurs techniciens travaillent également à acquérir des compétences dans ces domaines et à mettre en place des outils pédagogiques pour accompagner le monde agricole dans cette évolution.
Apprendre en jouant, c’est plus facile
De nombreuses possibilités existent déjà pour acquérir des compétences en ligne sur des sujets techniques, économiques ou sociaux : forums d’échanges spécialisés entre professionnels, conférences en ligne ou MOOC (acronyme anglais qui signifie Formation en ligne ouverte à tous). Plusieurs MOOC touchant à l’agriculture connaissent déjà un franc succès, comme celui d’Agreenium sur l’agroécologie ou de Coop de France sur le fonctionnement des coopératives. Mais on peut également s’instruire en jouant. Les serious games (jeux sérieux en bon français) sont, en gros, des jeux vidéo à vocation pédagogique. L’un d’eux, Cap Odyssey, propose même à l’internaute non spécialiste de se retrouver dans la peau d’un agriculteur qui doit gérer son exploitation en fonction des aléas du métier et de l’évolution de la PAC ! Conçus et/ou animés par des professionnels et des spécialistes de chaque domaine, ces jeux s’adressent généralement à des néophytes et sont une porte d’entrée vers une formation plus poussée via des conférences en ligne ou des MOOC. « L’enjeu des organismes de formation est de savoir mixer la formation des agriculteurs « en présentiel », dans une salle avec un formateur, avec un apprentissage en ligne », poursuit Christiane Lambert. « Cela veut dire connaître les contenus déjà existants, savoir en créer sur mesure et combiner ces contenus pour proposer une formation mixte cohérente et adaptée au public visé. »
Les témoignages de l’après-midi ont permis de voir des exemples d’organismes qui ont mis en place des formations mixtes innovantes, avec souvent une bonne dose de débrouillardise. Un CFA des Pyrénées Orientales, avec un tout petit budget à sa disposition, a ainsi monté une formation basée sur des vidéos pédagogiques tournées en interne et diffusée sur Youtube. La FREDON, elle, forme ses stagiaires via un groupe Facebook. Dans les deux cas, la gratuité des supports de diffusion permet de concentrer le maximum des moyens sur la qualité du contenu. « C’est un coup de jeune qui souffle sur notre profession », conclut Christiane Lambert. « Nous sommes à l’aube de l’agriculture intelligente. Cette nouvelle façon d’appréhender et concevoir le métier d’agriculteur nous permettra, demain, d’observer plus et mieux, de raisonner davantage et d’intervenir de façon plus judicieuse, pour concilier efficacité économique, respect de l’environnement, bien-être au travail et autres problématiques sur lesquelles nous sommes attendus. C’est une formidable opportunité qui doit nous inciter à l’optimisme. Ne nous laissons pas abattre par ce climat de morosité et d’incertitude. Soyons plutôt porteurs de perspectives. »