Publié le 15 décembre 2010
On aurait dit du Hitchcock… Élodie et Matthieu Poidevin ont eu l’impression de se retrouver au milieu d’une scène du film « Les oiseaux », le 29 novembre dernier. En milieu d’après-midi, ce jeune couple d’éleveurs, installé il y a moins de 2 ans à Cierp-Gaud, travaille à la rénovation de la maison de l’exploitation qu’ils ont rachetée. Autour du bâtiment, 85 brebis tarasconnaises et une trentaine de chèvres alpines pâturent dans des parcs fermés, sous l’œil d’un Patou et des nombreux chiens de ferme. « Quand on a commencé à les entendre aboyer, on a tout de suite compris qu’il se passait quelque chose », raconte Élodie, 25 ans. « Les chiens semblaient fous. » Quand ils se précipitent dehors, ils tombent nez à nez avec 5 vautours perchés autour de la maison, indifférents aux chiens attachés qui s’étranglent de fureur. « L’un d’eux était si proche de moi que, si je n’avais pas eu ma fille d’un an et demie dans les bras, j’aurais pu le saisir à main nue », se souvient Matthieu. « Il a fini par bouger et s’est empêtré dans un fil de clôture avant de se reposer plus loin. Mais il n’avait visiblement pas peur de nous. »
Guidé par les aboiements du patou, le couple découvre alors un spectacle incroyable, derrière la bergerie. « Les bêtes étaient massées dans un coin du parc, derrière le patou qui faisait face à une trentaine de vautours », poursuit Élodie. « Il y en avait partout, dans les arbres, sur la niche du chien, par terre… » C’est quand les vautours se dispersent qu’ils trouvent le cadavre d’une de leurs brebis. Éventrée, les yeux crevés, la panse sortie, la vision est horrible.
« Pas de preuves »…
Un peu désemparés, ils appellent Alexandre Forel, le conseiller agricole Chambre d’Agriculture du secteur. Ce dernier contacte et envoie sur place un vétérinaire et un agent de l’ONCFS*, qui viendra le lendemain. C’est là que les choses se compliquent un peu. Après autopsie, le vétérinaire déclare la brebis en bonne santé au moment de sa mort. La panse était pleine, preuve d’une alimentation correcte, et les poumons en parfait état. Mais l’agent de l’ONCFS ne veut pas attribuer le décès de la bête à une attaque de vautour. « Pour lui, le vautour est un charognard qui ne s’en prend qu’aux bêtes malades ou mourantes », explique Matthieu. « Il refuse de croire qu’une bête valide ait pu être attaquée. » Comme les éleveurs n’ont pas de preuve, à part dire ce qu’ils ont vu, l’ONCFS maintient donc que la brebis devait être malade ou blessée. « Pourtant, comme toutes les autres, elle était en pleine forme en quittant le bâtiment, le matin », persiste Matthieu. « On nous certifie que le vautour n’est pas un prédateur. Mais on nous maintient aussi que c’est un animal farouche. Pourtant, il a quasiment fallu qu’on leur tape dessus pour qu’ils partent… »
Élodie et Matthieu n’espèrent pourtant aucune indemnisation. Ce genre d’incident n’ouvre d’ailleurs droit à aucune prise en charge, que ce soit des assurances, de l’État ou des Fédérations de chasse. Ils souhaitent juste que l’ONCFS reconnaisse qu’il y a un changement de comportement chez les vautours fauves et qu’il faudrait en tenir compte dans la gestion de la faune sauvage des Pyrénées. « Si un éleveur ou un berger qui se retrouve dans la même situation que nous venait à tirer sur ces vautours, il encourrait 10.000 € d’amende pour avoir voulu défendre ses bêtes », souligne Élodie. « On nous a même dit que nous n’avions qu’à garder nos animaux enfermés ! Dans ces conditions, autant quitter la montagne et faire un élevage plus intensif en plaine, ça nous coûtera moins cher. Mais il ne faudra pas venir pleurer sur la désertification des zones rurales, après… »
Des auxiliaires un peu trop nombreux
Ce type d’incident n’est pourtant pas isolé. Francis Ader, élu Chambre d’Agriculture en charge du pastoralisme, a recueilli plusieurs témoignages d’attaques similaires. Pour lui, il y a clairement une évolution dans le comportement des vautours. « Protégées depuis les années 70, les populations de vautours fauves n’ont cessé de croître », constate-t-il. « Ces charognards ont un rôle très important dans l’écosystème de nos montagnes. Mais depuis la fin des charniers à ciel ouvert en Espagne et la mise à l’équarrissage systématique des cadavres d’animaux, la nourriture vient à leur manquer. » La situation devient critique pour les vautours à l’arrivée de l’hiver, quand il n’y a plus d’animaux domestiques et sauvages morts ou blessés dans la montagne. En septembre dernier, Jean-Pierre Oustalet, maire adjoint de Oô, a appelé les gardes-chasse. Des éleveurs signalaient des décès de brebis et d’agneaux pendant les agnelages. Là encore, pas de preuves photographiques ni de flagrant délit, mais les gardes-chasse ont tout de même dénombré 110 individus sur place ! « Je ne dis pas que tous les vautours sont devenus prédateurs », précise Francis Ader. « Mais certains individus se comportent de manière plus agressive et, poussés par la faim, peuvent s’en prendre à des animaux vivants et valides pour les isoler et les blesser. Le reste de la troupe peut alors passer à l’action et achever l’animal. »
Non au nourrissage !
Reste que l’administration se refuse pour le moment à reconnaître cette évolution comportementale. La chose a pourtant été certifiée en Savoie et une étude menée par le Parc National du Béarn va dans le même sens. « Il faudrait quand même que l’ONCFS prenne ces incidents au sérieux », poursuit Francis Ader. « De notre côté, nous faisons tout pour réunir un maximum de preuves sur les attaques de vautours. Nous le devons aux éleveurs, ne serait-ce que pour prouver leur bonne foi et la véracité de leurs témoignages. » Quand on lui demande s’il faudrait à nouveau recourir au nourrissage pour éviter ces problèmes, Francis Ader bondit : « Surtout pas ! Nourrir les vautours revient à favoriser leur multiplication dans un écosystème qui ne peut pas l’absorber. Il faut laisser faire la sélection naturelle. En cas de disette, les rapaces régulent leur population en se reproduisant moins. Il faut du temps et, on le voit bien, de la prudence de la part des éleveurs. Quand on voit qu’un troupeau en parc gardé par un patou n’est pas à l’abri d’attaques, il convient de redoubler de méfiance. » Pour l’heure, la Chambre d’Agriculture a adressé un courrier au Préfet, l’ONCFS et la DDEA pour les alerter sur cette situation.
* L’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) est un établissement public de l’État à caractère administratif. Il a pour mission de réaliser des études, des recherches et des expérimentations concernant la conservation, la restauration et la gestion de la faune sauvage et des habitats et la mise en valeur de celle-ci par la chasse. Il participe à la mise en valeur et la surveillance de la faune sauvage ainsi qu’au respect de la réglementation relative à la police de l’environnement et de la chasse.