Publié le 24 février 2015
Dépités… Mélissa et Jean-Jacques Manfrinato n’auraient jamais pensé se retrouver au cœur d’une polémique pour avoir seulement envisagé de créer une unité de méthanisation sur leur exploitation de Grazac (canton de Cintegabelle). Un projet qui pourrait pourtant répondre à plusieurs problématiques locales.
Pour l’économie, l’environnement et le voisinage
Sur une petite vingtaine d’hectares, Mélissa et Jean-Jacques Manfrinato produisent du poulet et des canards gras sous label, qu’ils vendent et en direct sur l’exploitation, ainsi que des céréales. Si les bâtiments, récents, s’intègrent plutôt bien dans le paysage, les odeurs générées par l’épandage des lisiers sont toujours problématiques. « Depuis des années, j’ai des remarques du voisinage à ce sujet », explique Jean-Jacques Manfrinato. « Rien de méchant, mais ces commentaires répétés ne sont jamais très agréables. Nous sommes donc nombreux à essayer de trouver des solutions. » L’idée de créer une unité de méthanisation a alors commencé à germer. « Avec les Zones Vulnérables qui limitent les possibilités d’épandage et imposent un stockage des lisiers hors de prix, la méthanisation s’inscrit pleinement dans l’air du temps », explique Jean-Jacques Manfrinato. « Elle mêle énergies renouvelables, préservation de l’environnement, complément de revenus pour l’agriculteur et enfin suppression des nuisances olfactives. Il n’y a que des avantages. » Convaincu des atouts de ce projet après de nombreux mois de recherches personnelles, il contacte la municipalité de Grazac pour présenter son idée. Le maire, Michel Zdan, est rapidement séduit pour le potentiel de cette unité de méthanisation, qu’il considère comme une chance de stabilisation de l’économie rurale par la diversité. Également Président du SMIVOM* local depuis 2014, il voit là aussi une opportunité économique de valoriser les déchets verts mais aussi une partie des déchets organiques (cantines scolaires et restaurations) de l’intercommunalité, les coûts de traitement et les frais de transport hors territoire étant très élevés. Fort de cet accueil, Jean-Jacques Manfrinato entreprend, courant 2011, de faire évaluer la faisabilité d’un tel projet par différentes instances techniques et administratives et les contours du projet prennent forme.
Pour atteindre la taille minimale de rentabilité, le méthaniseur traitera le lisier de poulet des Manfrinato et du fumier de bovins ainsi que des lisiers de canards de plusieurs élevages des environs. Côté valorisation, l’électricité produite sera revendue au réseau. Pour la production de chaleur, ils s’orienteraient vers la fabrication de compost. Grâce à des cellules de séchage, le digestat de méthanisation serait chauffé pour donner du compost désodorisé et exempt de graines d’adventices. Un produit d’ailleurs très recherché par les agriculteurs et maraîchers bio. Ce compost serait en partie épandu chez les agriculteurs participant au projet. Quant au surplus, important, il serait conditionné pour être vendu en jardinerie ou redistribué aux habitants des communes du SMIVOM.
Elle court, elle court, la rumeur
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Malheureusement, non. Au fur et à mesure que le projet prenait forme, une polémique a commencé à enfler. À son origine, le plus proche voisin des Manfrinato, à 400 mètres de là. « Je connais très bien Alain Fabre », explique l’agriculteur. « Il a tenu la comptabilité de l’exploitation pour mon père pendant 30 ans. À sa retraite, il a aménagé deux gîtes dans le corps de ferme qu’il a restauré. Il y a 3 ans, il est venu me demander de faire quelque chose contre les odeurs qui risquaient d’importuner ses futurs clients. J’ai alors été très heureux de lui annoncer que je travaillais sur un projet de méthanisation qui allait régler nos problèmes respectifs. » Sauf que la réaction n’a pas été celle espérée… Et très vite, la rumeur s’est emballée. Courriers, mails, articles de journaux, porte à porte et remise d’une pétition à la Mairie en présence d’une dizaine de gendarmes, les Manfrinato assistent, effarés, à un déferlement médiatique auquel ils ne s’attendaient absolument pas. « On a tout entendu », lâche l’éleveur. « On allait créer, en catimini, une dangereuse usine à méthane, empoisonner l’air des villages autour, provoquer cancer et asthme chez les enfants, saccager les routes avec un ballet incessant de camions, ruiner la tranquillité des riverains, défigurer le paysage et j’en passe… On ne comprend pas. Alors qu’on essaie de mettre en place des solutions pour les gens, on nous traite d’empoisonneurs, de pollueurs et de productivistes. Ils ne veulent pas d’épandage, ils ne veulent pas de méthanisation, ils ne veulent pas voir de bâtiment… Il faudra qu’on arrête de produire pour qu’ils soient enfin contents ? Le problème est que tous nos concitoyens sont d’accord pour développer les énergies renouvelables. Tout comme ils veulent des produits et des éleveurs locaux. Mais surtout pas à côté de chez eux… »
Ne pas céder au catastrophisme
Mis en cause également, le Maire de Grazac, Michel Zdan, a rapidement réagi. Aux accusations de dissimulation du projet, il répond qu’il en était déjà fait mention dans le bulletin municipal de fin 2011. « La méthanisation est une technique peu connue en France », estime-t-il. « Il y a donc des interrogations légitimes auxquelles il faut répondre. N’étant pas spécialistes, il est de notre devoir de nous informer. C’est ce que nous avons fait en suivant une journée de formation à la Chambre d’Agriculture, puis en allant voir une unité de méthanisation dans les Hautes-Pyrénées et, très récemment, en emmenant tout le conseil municipal et les élus de la commune voisine de Mauressac visiter une installation dans le Gers. » Si ces visites semblent avoir contribué à apaiser les craintes de certains élus, il reste à travailler en direction de la population. Échauffé par l’ampleur de la polémique, Michel Zdan a publié, fin décembre 2014, un Bulletin municipal spécial plutôt… incisif. « Je peux comprendre les inquiétudes, mais pas la désinformation », assène-t-il. « Le projet n’en est qu’au stade de la réflexion et s’il devait se réaliser, il suivra toutes les étapes réglementaires d’instruction et de publication. Quant au catastrophisme des opposants, il ne repose sur rien. L’Allemagne compte près de 8.000 méthaniseurs, actifs depuis 15 ans. La technologie est maîtrisée et sécurisée. C’est une évolution indéniable et une opportunité à explorer. »
De son côté, Alain Fabre se défend d’être un anti-méthanisation ou un anti-agriculture primaire. Il déplore le manque d’informations de la part de la mairie, notamment sur l’opportunité de créer l’unité sur une ferme isolée. Alors que la mairie estime le nombre de camions à une dizaine par semaine, Alain Fabre l’évalue à beaucoup plus. « Tout dépend du mode de transport, camions ou tracteurs, et de leurs contenances », déclare-t-il. « Mais comme nous n’avons pas d’éléments, on est en droit de s’inquiéter. Il faut que les éleveurs aient des solutions pour leurs problèmes d’effluents et la méthanisation en est une. Mais la seule ferme de M. Manfrinato ne peut alimenter une unité. Si les autres élevages doivent y faire parvenir leurs effluents, que le SMIVOM doit y déposer ses déchets verts et que le compost doit en repartir, pourquoi ne pas l’installer dans une zone industrielle ou un terrain de l’intercommunalité ? Les coûts de transport seraient les mêmes. Mais le site serait plus adapté au trafic que la petite route de Grazac et également susceptible d’être étendu si la solution méthanisation s’avère payante. »
Une classe politique trop timorée
Pour l’heure, le calme semble être revenu. Michel Zdan et les opposants autour d’Alain Fabre se sont officiellement rencontrés à la mairie pour parler du projet. La mairie signale en outre que, suite au dernier bulletin municipal, plusieurs personnes de la commune ont demandé à retirer leur signature de la pétition. « Des gens que je connais bien l’avaient signée sous le coup de l’émotion », soupire Jean-Jacques Manfrinato. « Si j’ai été blessé qu’ils le fassent sans m’en parler d’abord, je suis content qu’après explication, ils reconnaissent qu’ils ont été un peu vite à juger. » Mais une chose est sûre, les porteurs du projet ne pourront faire l’économie d’une grosse communication. Après cet emballement qui a vraisemblablement dépassé les organisateurs de la pétition, Jean-Jacques Manfrinato voudrait organiser une réunion publique avec agriculteurs et habitants, pour repartir du bon pied et poursuivre sereinement l’examen du projet et des nombreux points qu’il reste encore à éclaircir.
Et si l’éleveur et le Maire appellent au dialogue, ils regrettent tous deux l’absence totale de réaction politique à cette affaire. Alors que le Conseil Régional tenait un colloque national sur la méthanisation en décembre dernier à Toulouse et espère 120 installations d’ici 2020 en Midi-Pyrénées, aucun élu n’est intervenu pour calmer les débordements. « On est en période électorale et les politiques préfèrent ne pas faire de vagues alors qu’il faudrait au contraire bousculer les choses », regrette Michel Zdan. « La région a pris des engagements pour être un « territoire à énergie positive », en clair produire l’énergie nécessaire à notre consommation. Il est donc du rôle des élus de se retrousser les manches pour expliquer à nos administrés que c’est ici que ça doit se passer… Et qu’il n’est plus possible d’attendre, ni de croire que la solution viendra d’ailleurs. »
* Syndicat Mixte Intercommunal à Vocations Multiples