Publié le 15 juin 2017
Chantal Jouanno l’avait annoncé, les Sénatrices allaient battre la campagne à la rencontre des agricultrices de France. L’ancienne ministre et actuelle Présidente de la Délégation Sénatoriale aux Droits des Femmes avait organisé un colloque, le 22 février dernier, sur le thème : Être agricultrice en 2017. Quatorze femmes de toute la France, dont Marie-Blandine Doazan, Présidente de JA 31, étaient venues au Palais du Luxembourg, pour témoigner de leurs parcours, de leur quotidien et de leur vision de l’avenir. Point de départ d’une réflexion qui vise à orienter les futures actions du Sénat, ce colloque a été suivi de visites de terrain, ainsi que d’auditions au Sénat. C’est ainsi que le 30 mai 2017, un groupe de travail emmené par Françoise Laborde, Sénatrice de la Haute-Garonne, s’est rendu à Toulouse et ses environs. Au menu de la journée, visite de l’ENSAT et du lycée agricole d’Ondes et rencontre avec un groupe d’agricultrices dans le nord toulousain.
Solitude professionnelle
Elles étaient sept agricultrices*, accueillies sur l’exploitation de Nathalie Ramon à Montjoire. Avec elles, les quatre Sénatrices** et leurs collaboratrices étaient assurément « rodées » et au fait des nombreux dossiers relatifs à la vie des femmes en agriculture. Après un tour de présentations individuelles, les participantes sont entrées très vite dans le vif du sujet. Si la question de la représentativité des femmes dans les instances agricoles a été, bien entendu, abordée, les discussions ont surtout tourné autour de questions plus pratiques et terre-à-terre. La maternité, par exemple, qui est plus compliquée pour une agricultrice que pour une salariée. « Le fait de vivre sur son lieu de travail n’incite pas à se reposer », expliquait Francine Massou, agricultrice à Roquesérière. « Il y a toujours quelque chose à faire dans une ferme, même quand on est enceinte. On attend le dernier moment avant de s’arrêter. Au risque d’avoir des complications. » Le problème est que le recours au Service de Remplacement pour un arrêt anticipé reste problématique, pour des raisons purement administratives et de financement… Autre obstacle, le manque de réponses aux nombreuses questions que se posent les agricultrices. « J’ai beaucoup cherché, sur internet ou autour de moi, mais personne n’a su me dire si je pouvais, par exemple, soulever un sac d’engrais à 7 mois de grossesse ou passer ma journée dans mon tracteur ou une moissonneuse », racontait Marie-Blandine Doazan. « D’une part, nous n’avons pas d’interlocuteurs spécialisés mais, d’autre part, il n’y a pas non plus d’endroit, physique ou en ligne, où on peut s’échanger des conseils, astuces ou bons plans entre agricultrices. C’est un métier où l’on peut vite se sentir seule. »
Remettre du pragmatisme dans la politique
Les exploitantes ont aussi déploré un autre manque d’informations, dans les hautes sphères cette fois. Alors que le statut de nombreuses agricultrices reste précaire, des aides existent pour permettre de passer des caps difficiles. Celles-ci seraient notamment bienvenues en ces temps de crises agricoles répétées. Mais à la grande surprise des Sénatrices, les témoignages des exploitantes étaient sans appel. Dans la majorité des cas, ces aides n’arrivent pas jusqu’à leurs destinataires. Entre les services de la MSA dépassés par les demandes et les dossiers pourtant complets retoqués par l’administration, nombreuses étaient les agricultrices présentes à avoir tenté puis abandonné les démarches.
« L’extension du RSA aux non-salariés agricoles ou la Prime d’activité ont été, au final, des effets d’annonce du Gouvernement », estime Véronique Foulquier, agricultrice à Mirepoix/Tarn. « Dans la pratique, les formulaires de l’administration publique sont totalement incompatibles avec la diversité des situations en agriculture. Il y a des cheffes d’exploitation, des conjointes collaboratrices, des associées de GAEC, des pluriactives. Autant de cas qui ne rentrent pas dans les cases prévues pour des salariés du régime général. Il faut absolument que le prochain Gouvernement prenne conscience des spécificités de l’agriculture et adapte ses mesures à la réalité du terrain. »
Si un message semble avoir été entendu ce jour-là, c’est bien celui-ci. Le groupe de Sénatrices s’est dit très concerné par ces défaillances du système et entend bien travailler à l’améliorer. Au terme de plus de deux heures de franches discussions à bâtons rompus, bien des choses ont été dites. « En tant que femme politique, je dois parfois lutter pour m’imposer », confiait Annick Billon, Sénatrice de Vendée. « Mais en rencontrant ces agricultrices, j’ai l’impression que, pour elles, ce combat est permanent. » Un propos nuancé par les haut-garonnaises qui ont rappelé que la vie d’agricultrice n’était pas non plus le bagne. « Nous aimerions davantage de considération et ne pas avoir à tout le temps prouver ce dont nous sommes capables », ajoutait Marie-Christine Alaux, maraîchère à Lapeyrouse-Fossat. « Mais nous adorons ce métier. Nous sommes également plus impliquées que nos homologues masculins dans la vie locale et associative, ce qui nous permet de garder le contact avec le monde extra-agricole. » Autant de réflexions qui iront alimenter le rapport d’information que la Délégation devrait remettre en juillet prochain au Président du Sénat. « Et que ne manquerons pas d’adresser au nouveau ministre de l’agriculture, Jacques Mézard », concluait Françoise Laborde.
* Marie-Christine Alaux, Marie-Blandine Doazan, Véronique Foulquier, Francine Massou, Magali Paschetta, Nathalie Ramon et Valérie Sérié. ** Brigitte Gonthier-Maurin (Hauts-de-Seine, vice-présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes), Françoise Laborde (Haute-Garonne), Annick Billon (Vendée) et Marie-Pierre Monier (Drôme)