Publié le 12 juin 2013
Lancé en 2008, le plan Écophyto vise à réduire l’utilisation des produits phytosanitaires en France, tout en maintenant une agriculture économiquement performante. Partout en France, des agriculteurs, des techniciens et conseillers des chambres d’agriculture, des Instituts Techniques, des coopératives et d’autres acteurs du développement agricole ont déjà engagé de nombreuses actions dans ce sens.
Des groupes de fermes pilotes dans toutes les régions et toutes les filières
En 2009, un vaste réseau de fermes pilotes, appelé DEPHY, a été créé pour mutualiser et diffuser les expériences de changement des pratiques agricoles. Ce réseau compte aujourd’hui 1.900 exploitations agricoles, réparties sur tout le territoire national y compris les DOM, et couvrant l’ensemble des grandes filières de production française (grandes cultures, polyculture-élevage, viticulture, arboriculture, cultures légumières, horticulture et cultures tropicales). Le réseau comprend également plus de 70 fermes de lycées agricoles, dédiées à l’expérimentation-démonstration. L’objectif premier de ces fermes est de favoriser le transfert vers des systèmes et des techniques économes en produits phytosanitaires. Il s’agit de montrer aux autres exploitants agricoles les possibilités ouvertes par ces systèmes innovants et de témoigner des performances obtenues sur les plans technique, environnemental, économique et social. En 2012, les ingénieurs du réseau ont réalisé près de 200 opérations de démonstration sur les fermes du réseau DEPHY, avec la participation d’environ 8.000 agriculteurs. En incluant les autres opérations (articles de presse, conférences, films, etc.), les actions de communication ont potentiellement touché 50.000 agriculteurs.
La Haute-Garonne relève le Dephy
Pour communiquer sur les derniers résultats obtenus par les acteurs du réseau, la Chambre d’Agriculture de Haute-Garonne a entrepris une opération « Portes ouvertes » des fermes DEPHY du département, dans le cadre d’une action nationale. Celle-ci s’est déroulée le 22 mai dernier, à Auzeville et Verfeil. Présidée par Yvon Parayre, Président de la Chambre d’Agriculture et Président du Conseil d’Administration du lycée agricole d’Auzeville, la matinée était consacrée à la restitution des essais menés depuis un an par les élèves de 2ème année du BTS Agronomie et Technologie Végétales. Tour à tour, plusieurs groupes d’étudiants ont présenté les résultats de leurs expérimentations respectives, en salle puis dans les parcelles, avant de répondre aux nombreuses questions que n’ont pas manqué de susciter leurs exposés. L’après-midi s’est déroulée à Verfeil, sur l’exploitation de Jean-Christophe Lapasse. Cet agriculteur, membre du réseau DEPHY Ferme, exploite 90 ha de céréales, dont une vingtaine en agriculture biologique. Travaillant en binôme avec Aymeric Desarnauts, conseiller Chambre d’Agriculture 31 et animateur réseau DEPHY Midi-Pyrénées pour les grandes cultures, il s’est engagé dans la démarche pour améliorer ses performances techniques (meilleure maîtrise des bio-agresseurs) et économiques (optimiser ses charges opérationnelles). Pendant près de 3 heures, Jean-Christophe Lapasse s’est soumis de bonne grâce – et souvent avec humour – au feu de questions que lui posaient des agriculteurs et techniciens qui avaient fait le déplacement. « Les agriculteurs ne sont pas opposés aux changements de pratique », notait Yvon Parayre en introduction. « Ils sont plutôt réticents à appliquer des directives administratives décidées unilatéralement, sans concertations, qui ne correspondent pas au contexte agronomique local et qui amputent leur revenu sans pour autant amener une plus-value environnementale. C’est pourquoi les Chambres d’Agriculture se sont investies dans la démarche DEPHY. Mettre en place, ensemble, un réseau de fermes pilotes qui nous proposera peut-être des solutions adaptées à notre climat et notre territoire est pour moi la façon de procéder la plus pertinente. Je veux donc remercier le lycée d’Auzeville, partenaire important de cette démarche et aussi et surtout les agriculteurs du réseau qui ont pris le risque de mener ces expérimentations sur leurs propres exploitations, sans compensation financière. »
Journée DEPHY – épisode 1
Relater cette journée en une fois, de façon satisfaisante, n’est pas possible. Le Trait d’Union Paysan vous propose donc un retour sur ces expérimentations en deux épisodes, en donnant la parole à ses principaux acteurs. Nous nous attarderons d’abord sur les essais menés par les étudiants d’Auzeville, commenté par Frédéric Robert, professeur d’agronomie au lycée agricole d’Auzeville, qui a supervisé, avec Sophie Rousval, les expérimentations des BTS.
Notre prochain article reviendra plus en détails sur les travaux chez Jean-Christophe Lapasse.
Témoignage de Frédéric Robert
Professeur d’agronomie au lycée agricole d’Auzeville
« Il y a clairement des gains à réaliser par ces nouvelles pratiques »
Si l’EPL d’Auzeville et son exploitation se sont inscrits dans la démarche Écophyto, c’est avant tout pour former nos étudiants à être les conseillers de demain, en ayant toutes cartes en main pour accompagner les évolutions dans les pratiques agricoles. Avec l’appui du corps enseignant, les élèves de BTS 2ème année ont donc eu à gérer l’intégralité d’une expérimentation sur des techniques alternatives, de sa mise en place à sa restitution. Mais nous voulions également qu’ils se confrontent aux professionnels, raison pour laquelle nous avons intégré le réseau DEPHY Ferme. Pour la 3ème année consécutive, des groupes d’élèves ont donc présenté à des agriculteurs et techniciens agricoles, les résultats des différents essais dont ils avaient la responsabilité. Et je dois dire qu’une fois encore, j’ai été très impressionné du sérieux et de l’implication dont ils ont fait preuve pendant toute la durée des expérimentations. Lors de la restitution, les questions qui leur ont été posées étaient pointues et le niveau des débats était élevé, mais ils ont su argumenter et répondre avec précision, sans se démonter. Ils ont l’étoffe de vrais professionnels.
Trois thèmes de première importance
Comme chaque année, les thématiques retenues pour les expérimentations ont été choisies dans une démarche commune avec nos partenaires (DRAAF, Chambre d’Agriculture, Agence de l’eau, instituts techniques, coopératives, INRA, agriculteurs), selon les évolutions des contextes agricoles et réglementaires. Cette fois-ci, trois thèmes ont été étudiés : l’optimisation de la gestion des adventices, l’insertion des couverts végétaux dans nos systèmes agricoles et le bio-contrôle*.
Optimisation de la gestion des adventices : C’est véritablement l’enjeu de demain. Pour aborder ce thème, les étudiants ont privilégié deux axes de travail : le désherbage mixte (chimique + herse étrille) sur blé et tournesol, et la qualité de la pulvérisation (stabiliser la concentration des produits en y couplant l’utilisation d’adjuvants). Si le désherbage mixte a déjà été expérimenté sur la ferme du lycée, le 2ème axe n’en est qu’à sa 1ère année d’expérimentation. Donc même si les résultats sont encourageants, ils méritent d’être confirmés par la suite.
Insertion de couverts végétaux : C’est une question délicate par chez nous, en raison de notre contexte pédoclimatique propre à notre région. Les étudiants ont procédé à des tests de différents couverts et différents modes de destruction, en prenant en compte l’impact du couvert sur l’assolement suivant. L’enjeu de cette expérimentation est d’observer le résultat économique des couverts végétaux. Car si on connaît son intérêt d’un point de vue agronomique, il reste tout de même à vérifier que cette pratique améliore le revenu de l’agriculteur ou, au pire, qu’il ne le rogne pas.
Bio-contrôle : Les étudiants ont travaillé sur les stimulateurs des défenses naturelles des céréales, en partenariat avec Laboratoire de Recherche en Sciences Végétales (LRSV). Nous nous rapprochons plus, ici, de la recherche pure. Le but de l’expérimentation est d’observer le comportement des cultures en utilisant des doses chimiques réduites mais complémentées par ces nouveaux produits, en majorité des extraits végétaux.
Des résultats encourageants…
On ne peut pas donner ici tous les résultats de ces expérimentations, mais à titre d’exemple, le cas du désherbage sur blé est assez révélateur. Les étudiants sont partis d’une référence « sortie hiver » d’un agriculteur, en protection chimique, qu’ils ont fortement réduite. Ils ont réalisé 3 protocoles de désherbage : tout chimique, mixte et tout mécanique. Pour le désherbage mixte, ils ont également opté pour une application à bas volume. Avec l’année qu’on a connue, ils n’ont pu faire qu’un seul passage mécanique. Donc le protocole 3 a complètement décroché. Par contre, il n’y pas eu de différences entre le désherbage tout chimique et le mixte, alors que l’Indice de Fréquence de Traitement (IFT) a tout de même été réduit. C’est un résultat assez intéressant même s’il reste à confirmer, vu que nous n’avons pas eu, cette année, de fortes pressions d’adventices sur la parcelle d’expérimentation.
Autre point intéressant, en traitement à bas volume sur des colzas avec une grosse biomasse, les étudiants ont pu détruire 100% des adventices avec des doses très réduites de glyphosate, associées à des adjuvants (huile+sulfate d’ammonium). Là aussi, il faut relativiser car les conditions d’application étaient exceptionnelles. Mais on peut néanmoins dire que les adjuvants jouent un rôle non négligeable sur l’efficacité du désherbant.
… mais à relativiser
Les restitutions de cette journée ont été passionnantes. Comme nous sommes sur de l’expérimentation, tous les participants étaient au même niveau de connaissances. Les échanges étaient donc très objectifs et, au final, très productifs. C’est un encouragement et une grosse motivation à poursuivre ces expérimentations, tant pour nous, enseignants, que pour les étudiants. Les fréquentes visites d’Aymeric Desarnauts, mais aussi les échanges avec plusieurs autres techniciens de la Chambre d’Agriculture ont d’ailleurs été d’une grande richesse pédagogique pour nos étudiants.
Pour les agriculteurs ou techniciens intéressés, il faut savoir qu’il est possible, sur demande, de faire une visite des essais avec les étudiants. De même, comme ces expérimentations sont financées sur des fonds publics, tous les résultats sont disponibles sur internet**. Nous nous sommes efforcés de restituer le plus objectivement possible les résultats obtenus et les conditions dans lesquelles les expérimentations ont été menées. Un agriculteur présent à cette journée craignait que l’administration se serve de ces données pour établir de nouvelles normes ou nouvelles réglementations. S’il y a clairement des gains à réaliser par ces nouvelles pratiques, j’insiste fortement sur le fait qu’il faut se méfier de toute généralisation de ces résultats. Nos étudiants ont exploré des pistes et tenté de répondre à une problématique donnée, dans un endroit et à une période précis. Ce qui a été observé à Auzeville n’est donc pas forcément transférable à l’échelle d’une exploitation. Loin s’en faut.
* Lutte biologique contre les parasites utilisant des auxiliaires naturels, tels que des insectes, bactéries ou champignons, pour se débarrasser des ravageurs de cultures, insectes ou mauvaises herbes. ** Retrouvez tous les résultats sur les sites de la Chambre d’Agriculture et de la Cité des Sciences Vertes.