Publié le 13 mai 2014
Vendredi 2 mai, au matin, une centaine de « faucheurs volontaires », emmenée par José Bové et Gérard Onesta, députés européens, François Simon, écologiste toulousain, et des membres de Greenpeace, détruit une parcelle de maïs OGM appartenant à Jacques Beauville, agriculteur à Saubens (canton de Portet). L’affaire est relayée dans tous les médias qui, sans surprise, préfèrent accorder la parole aux faucheurs plutôt qu’à un agriculteur présumé coupable. Regrettable, car Jacques Beauville a pourtant beaucoup de choses à dire…
TUP : Le maïs MON810 que vous avez semé n’est-il pas interdit par la loi ?
Jacques Beauville : Le Gouvernement a publié, le 14 mars dernier, un arrêté interdisant la culture du maïs MON810. Mais il faut savoir que depuis le 1er août 2013, un même arrêté avait été cassé par le Conseil d’État, faute d’arguments scientifiques recevables pour justifier son interdiction. Jusqu’au 14 mars 2014, l’achat de semences et le semis étaient donc parfaitement légaux. Étant adepte du semis précoce et des techniques simplifiées, j’ai semé 11,40 ha de maïs MON810, acheté chez un semencier espagnol, dans la semaine du 3 au 10 mars. Nous étions plusieurs agriculteurs à vouloir produire du maïs OGM, mais à cause de la météo capricieuse, nous n’avons été que deux à pouvoir semer. Comme le prévoit un décret de 2011, j’en ai fait la déclaration par courrier recommandé au ministère de l’agriculture, dans les 15 jours qui ont suivi le semis. Figuraient dans ce courrier, la copie de mon registre parcellaire, la photo satellite utilisée pour ma déclaration PAC avec la parcelle délimitée au feutre, le nom de la variété semée, ainsi qu’une déclaration signée par mon voisin comme quoi il était informé de la situation. J’ai également averti le maire de ma commune.
TUP : Quelle a été la réaction de l’administration ?
JB : Les services de la DRAAF sont venus constater mes dires et évaluer le stade de développement pour déterminer la date de semis. Après le retour de leur ministère de tutelle, ils sont revenus faire des prélèvements dans mes parcelles pour vérifier la nature transgénique de mon maïs. Mais ils se sont arrêtés là. La DRAAF, tout comme le ministère de l’agriculture, attend la décision du Conseil d’État sur le référé en suspension de l’arrêté du 14 mars, déposé par l’AGPM et l’Union française des semenciers (UFS). Cette décision devrait intervenir en ce début de semaine*. Selon l’avis rendu, le ministre pourrait exiger ou non la destruction de ma production.
TUP : Vous deviez vous douter que vous alliez susciter de vives réactions ?
JB : Bien entendu. Je savais que ça allait mettre la pagaille, mais je ne pensais pas que les faucheurs viendraient avant le résultat du référé. Faire ces semis était pour moi une façon de mettre en lumière les contradictions de nos politiques français et de leur position intransigeante et dogmatique sur le volet de l’agriculture en général et des OGM en particulier. Juste quelques données : 18 millions d’agriculteurs dans le monde cultivent plus de 175 millions d’ha de plantes transgéniques, en progression constante depuis 1996. Leurs productions arrivent en masse dans notre pays. Depuis près de 20 ans que des animaux sont nourris aux OGM, il n’y a jamais eu le moindre incident sanitaire à déclarer. Les biotechnologies ouvrent des possibilités énormes en termes de réduction de pesticides et d’économies d’intrants, voire d’énergie. Pourtant, la France refuse l’idée même de se pencher sur les atouts possibles de ces technologies. Le rapport bénéfices/risques, qui est appliqué dans tous les domaines de l’industrie et de la santé, est interdit pour l’agriculture. Cette posture est d’ailleurs qualifiée de « médiévale » par le ministre de l’agriculture et de l’environnement anglais, Owen Paterson. Pire, le cofondateur de Greenpeace, Patrick Moore, accuse l’association, qu’il a quittée en 1986, de crime contre l’humanité pour son opposition catégorique au « riz doré ». Ce riz OGM permet de lutter contre la carence en vitamine A, qui provoque, dans un premier temps, la cécité de 250 à 500.000 enfants chaque année, dont les 2/3 décèdent dans les mois qui suivent.
TUP : La technologie OGM serait donc sans danger, selon vous ?
JB : D’un point de vue sanitaire et environnemental, je n’y vois que des avantages. Et aucune étude sérieuse n’a jamais montré de dangers inhérents à la technologie. Par contre, comme souvent, c’est l’usage qui est fait des technologies qui peut poser problème. La tolérance des OGM RR (Round-Up Ready) au glyphosate n’est pas un blanc-seing pour en arroser la culture à tout va. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, de voir des adventices développer une résistance à cet herbicide. Concernant le MON810, son intérêt premier est sa résistance à la pyrale et la sésamie. Protégeant la plante dans l’espace et le temps, cette caractéristique évite les trois apports d’insecticides qu’on devrait faire pour lutter contre les ravageurs de ces cultures. Entre une protéine ajoutée dans le gène d’une plante et un insecticide dispersé sur une parcelle, je pense que les insectes des champs, tout comme l’agriculteur qui doit manipuler les produits, ont vite fait leur choix. Je ne veux pas imposer les OGM tout le temps et à tout le monde, comme les faucheurs voudraient le faire avec le bio. Je souhaite que cette technologie fasse partie d’une boîte à outil permettant à l’agriculteur d’intervenir en fonction des besoins de la culture. Par exemple, après 2 ou 3 campagnes avec du MON810, la présence de pyrales devrait être largement diminuée. Il est donc parfaitement envisageable de semer une variété classique, moins chère, pour quelques campagnes suivantes. Pour résumer, ce n’est pas parce que j’utilise des OGM que je vais travailler en dépit du bon sens agronomique ! Je considère le sol comme un organisme vivant et non comme un simple support de l’agriculture. Je cultive en techniques simplifiées depuis longtemps. Cette année, je débute le semis direct sous couvert de féveroles, etc. Bref, ma conduite de cultures correspond en plein à l’agroécologie prônée par le ministre de l’agriculture. Et les OGM me permettraient de gagner quelques quintaux, avec la même quantité de semences, la même consommation d’eau, beaucoup moins d’intrants et surtout avec une meilleure qualité puisque le maïs Bt est exempt de mycotoxines. Pourtant, on voudrait me faire passer pour l’ennemi public n°1 !
TUP : Comment avez-vous vécu ce fauchage ?
JB : Même si je ne suis pas surpris, je n’en reste pas moins stupéfait devant la passivité des forces de l’ordre, le silence assourdissant des ministres de l’agriculture et de l’environnement, et la violence, non seulement des actes, mais des propos de José Bové, Greenpeace et consorts. Quand je suis dans la plus stricte légalité, je vois que des élus de la République peuvent venir sur ma propriétaire, détruire mon travail et salir mon image, en toute impunité. Monsieur Bové va jusqu’à menacer de revenir chez moi si le ministre n’impose pas la destruction de mes cultures ! On peut être pour ou contre les OGM. Mais ce genre de comportement n’est rien d’autre que du terrorisme. Le plus choquant dans l’histoire est la réaction, ou plutôt l’absence de réaction du Gouvernement. Une poignée de personnes veut imposer, par la force et en toute illégalité, sa vision des choses à un pays et Stéphane Le Foll ne bronche pas. Soit il est dans son rôle de ministre et il arbitre les débats, gère la coexistence de plusieurs types d’agriculture, fixe les règles et fait respecter les procédures. Soit il reconnaît être militant de la cause anti-OGM et, dans ce cas, sa place n’est pas au Gouvernement.
Propos recueillis par S.G.
* Le 5 mai dernier, le Conseil d’État a confirmé l’arrêté gouvernemental du 14 mars, en rejetant la requête en suspension de l’AGPM et l’UFS.