Publié le 24 mars 2011
C’est une histoire d’hommes, de rencontres heureuses, d’opportunisme et d’apéros… Guy Delrieu, 52 ans, ne cache pas que sa nature de bon vivant est une des raisons qui l’ont amené à être aujourd’hui Président de France Ginseng et sur le point de lancer une filière inédite dans notre pays.
À la recherche de la panacée
Après 20 ans passés à EDF, Guy Delrieu monte, en 2005, une pépinière et à l’idée de se lancer dans la culture de plantes médicinales. « J’ai commencé à chercher une plante adaptable à notre région, qui intéresserait l’industrie. Mais comme je n’aime pas la concurrence, j’en cherchais une qui ne soit pas cultivée en France. » C’est comme cela que, dans l’Aine, il tombe sur le ginseng, chez le dernier producteur français en exercice. Synonyme pour beaucoup d’aphrodisiaque, cette plante cultivée et consommée en Chine depuis 5.000 ans, est là-bas parée de toutes les vertus. D’où son nom latin « panax », la panacée, le remède universel. Le ginseng a tout de même de très nombreuses qualités, reconnues par la médecine occidentale, et entre donc dans la composition de multiples médicaments et compléments alimentaires. Les principaux laboratoires pharmaceutiques ont d’ailleurs mis en place d’ambitieux programmes de recherches pour valider scientifiquement certaines propriétés supposées du ginseng sur les maladies cardiovasculaires, le stress, voire certains cancers. Le ginseng n’étant cultivé qu’en Asie et au Canada, l’intérêt et les débouchés en Europe sont donc des plus tentants. Mais si la culture ne s’est pas développée en France, c’est qu’elle comporte de nombreuses contraintes.
Délicat ginseng…
Tout d’abord, le ginseng a besoin de 85% d’ombre pour ne pas brûler, ce qui implique l’installation d’ombrières en grosse toile, qu’il faut démonter chaque hiver puis remonter, pour un coût rapidement rédhibitoire. La plante est également très sensible aux excès d’eau, « son aspect le plus pénalisant et une des causes de l’échec de la production en France », selon Guy Delrieu. « Cela entraîne des gros problèmes de champignons, de parasites et fonte des racines. Ajoutez à cela une récolte délicate et gourmande en main d’œuvre et vous avez un aperçu des coûts de production du ginseng. Certes, c’est une culture à haute valeur ajoutée. Mais il faut attendre 4 ans pour pouvoir récolter la racine, durant lesquels les charges se montent à 48.000 €/ha… » Des contraintes assez redoutables, mais pour lesquelles Guy Delrieu allait entrevoir une solution lors d’un repas avec des amis. L’un d’eux gère une société de construction métalliques, un autre est dans le photovoltaïque. « C’était en plein boom du photovoltaïque », se souvient Guy Delrieu. « J’avais déjà été sollicité par EDF pour mettre des panneaux au sol sur mes terres inutilisées, ce qui ne me séduisait pas beaucoup. Mais on s’est dit qu’entre EDF qui avait besoin de soleil et nous qui avions besoin d’ombre, il y avait peut-être quelque chose à creuser. » Une fois l’idée des abris photovoltaïques trouvée, Guy et ses 3 partenaires (Didier Bordignon, Thierry Jara et Jean-Marc Mateos) consacrent l’année 2009 aux études techniques sur la « cohabitation » des productions photovoltaïque et agricole, à l’obtention des autorisations administratives et à l’ingénierie juridique et financière du projet. La mairie de Seysses est convaincue et appuie le projet.
Le mariage de l’ombre et du soleil
On ne peut pas les rater ! À la sortie de Seysses, la quinzaine d’abris de 8 mètres de haut et 2.000 m² chacun, entièrement recouverts de panneaux photovoltaïques, détonne dans le paysage. « C’est vrai qu’ils sont un peu voyants », confesse Guy Delrieu. « Sur l’autre site que nous allons démarrer dans les Landes, les abris photovoltaïques ont une hauteur et une pente plus faibles. C’est plus pénalisant pour le rendements des panneaux mais bien plus discret en termes d’intégration paysagère. » Voyants, certes, mais diablement efficaces. De fait, ces abris résolvent pas mal de problèmes. « Ils apportent de l’ombre et l’étanchéité nécessaires à la culture du ginseng, sans entraver les travaux d’exploitation », poursuit Guy Delrieu. « On peut donc réguler très précisément les apports hydriques par brumisation. Cela permet de diminuer la pression parasitaire et supprimer le recours aux produits phytosanitaires. D’autre part, la production d’électricité nous permet de couvrir les investissements et de dégager un revenu durant les premières années sans récolte de ginseng. » Cette formule gagnant-gagnant et les perspectives qu’elle ouvre ont d’ailleurs convaincu le pôle de compétitivité AgriMip Innovation de labelliser le projet, en 2010. FranceAgriMer, de son côté, a également reconnu l’opportunité de produire du ginseng en France. Forts de cette reconnaissance, Guy Delrieu et ses partenaires lancent deux autres projets d’implantations à Nîmes et à Rion-des-Landes. Dans la foulée, ils ont créé « France Ginseng », structure qui sera dédiée au développement de la filière française de production, transformation et commercialisation du ginseng. Objectif : proposer des ginsengs « made in France », de haute qualité et à la traçabilité totale. Le 19 novembre 2010, les premières graines étaient plantées en grandes pompes.
Installer des agriculteurs
« On aurait pu prendre un salarié », reconnaît Guy Delrieu. « Mais ce n’était pas la philosophie qui nous animait. Notre projet est autant agricole qu’industriel. Alors si on pouvait installer un jeune, il ne fallait pas rater l’occasion. D’autant plus que son implication et sa motivation ne seront pas les mêmes que pour un employé. » C’est désormais chose faite. Un ancien technicien sylvicole est en cours d’installation. Pour sécuriser l’exploitation et les revenus, France Ginseng a conçu un système pour le moins original. « Nous avons signé avec lui un contrat de licence, complété par un bail rural et un contrat de culture », explique Guy Delrieu. « France Ginseng lui verse une avance sur production, chaque mois et pour les 2 cycles de production à venir. Cela lui permet de vivre convenablement et de financer son besoin en fond de roulement jusqu’à la première récolte de 2014 puis celle de 2018. La sécurité est donc acquise au nouvel exploitant, sachant que même si les rendements s’avéraient inférieurs aux prévisions, les avances perçues lui resteront acquises. On est tous solidaires des bénéfices comme des risques. »
L’exploitation de Seysse a pour objectif de produire à terme 1 à 1,5 tonne de racines par an, pour un chiffre d’affaires annuel de 800.000 €. Cela représenterait 0,5% des importations européennes et 6% des importations françaises. Les dés sont donc lancés et dans l’attente de la première récolte, Guy Delrieu ne lâche pas son bâton de pèlerin et continue de chercher de nouveaux partenaires, de nouveaux débouchés et de faire connaître son projet. « J’ai hypothéqué tout ce que j’avais dans l’histoire », confie-t-il. « Mais j’y crois dur comme fer et pour le moment, je dors plutôt bien. » Un autre des effets du ginseng, sans doute…