Publié le 11 février 2010
Débats de haute volée, lors de la dernière AG d’Euralis Coopéval, le 09 février dernier à Carbonne. Pour animer la dernière partie de réunion, Jean-Claude Labit, Président d’Euralis Coopéval avait invité Christian Pèes, Président du groupe Euralis et Jacques Carles, délégué général de Momagri (voir encadré). Ce diplômé de l’ESSEC au CV impressionnant (entre autre : ancien auditeur de l’Institut des Hautes études de la Défense Nationale, chargé de l’agriculture à la direction du budget de la commission européenne et actuel vice-Président du SAMU Social International), est venu présenter l’analyse et les solutions que propose Momagri pour construire une agriculture mondiale capable de répondre aux enjeux qui l’attendent.
Faire sa révolution
« Peu importe que l’on soit en début ou en fin de crise », expliquait Jean-Claude Labit en préambule, « ce qui caractérise la situation actuelle sont les notions d’incertitudes, de ruptures majeures avec le passé et donc la nécessité d’une adaptation de nos systèmes économiques, sociaux ou technologiques. » Il n’en est pas autrement pour le monde agricole et ses structures d’amont et d’aval. Jean-Claude Labit soulignait que les prix actuels des productions ne permettent pas aux agriculteurs de vivre mais qu’ils mettent également en péril les coopératives. « La rupture, on y est », lançait-il à l’assistance. « C’est à l’adaptation que nous devons maintenant nous intéresser de toute urgence. Nos comportements passés ne seront pas compatibles avec le marché de demain. »
Les pistes à explorer sont nombreuses. Assolement en commun, optimisation de l’utilisation de matériel ou encore contractualisation, pour les exploitants. Développement des partenariats pour plus de compétitivité, pour les structures de collecte, de distribution ou de services. Accroissement et sécurisation des filières, courtes ou longues, agricoles ou para-agricoles.
Mais la révolution devra surtout se faire aussi au niveau des mentalités. « Produire, c’est bien. Mais faire acheter le produit, c’est mieux », rappelait Jean-Claude Labit. « Nous devons prendre en compte le changement majeur de comportement du consommateur. Il a changé ses habitudes d’alimentation mais aussi remplacé l’angoisse de la faim par l’angoisse sanitaire. Si nous ne voulons pas prendre ce paramètre en compte, nous ne réussirons jamais à remonter la pente. »
Mais cette révolution, les agriculteurs ne pourront pas la faire seuls. Jean-Claude Labit pointait du doigt ce paradoxe : plus les contraintes qu’exigent ces adaptations s’alourdissent, plus le désengagement des soutiens financiers s’accentue. « Avec des aides PAC amputées de 15 à 20%, comment voulez-vous que l’agriculture puisse prendre le virage qu’on attend d’elle ? », s’agaçait-il. « Nous sommes déjà victimes de distorsions vis-à-vis des productions importées, qui sont loin d’avoir les mêmes exigences sociales, techniques ou environnementales que nous. Évitons d’en rajouter… »
Le modèle Momagri marque des points
C’est justement sur cette problématique qu’est intervenu Jacques Carles. Avec le Momagri, il tente « d’éduquer » les institutions européennes et mondiales, chiffres à l’appui. Pour lui, les décisions prises dans le cadre de l’OMC, de la PAC ou de la lutte mondiale contre la pauvreté se basent sur des modèles économiques inappropriés, inexacts et orientés, qui conduisent l’agriculture dans une impasse. « Depuis 20 ans, il y a une véritable désinformation sur l’agriculture », constate Jacques Carles. « Il fallait que nous réagissions pour proposer à nos politiques d’autres hypothèses de travail, basées sur la réalité de la mondialisation. »
En ce sens, le think-tank a abattu un travail de titan. Il a construit un véritable outil de décision pour l’agriculture de demain, sous la forme d’un modèle économique international. Ce « modèle Momagri » intègre l’ensemble des spécificités de l’agriculture et des variables qui lui sont associées (économiques, sociales, énergétiques et environnementales). Il répond aux exigences de réalisme, ignorées par les grandes institutions mondiales en matière de libéralisation du commerce agricole international. Première victoire, le modèle Momagri a été qualifié par plusieurs économistes internationaux, de premier du genre avec lequel il faudra désormais compter pour évaluer l’impact d’une politique de libéralisation des échanges agricoles. « Nous sommes engagés dans une véritable course contre la montre », poursuit Jacques Carles. « Nous venons de très loin. Les politiques commencent à comprendre notre propos et à remettre en cause les modèles économiques actuels. Mais pour qu’ils aient le courage, car il en faudra, de mettre en application nos propositions, il nous faut les convaincre par des chiffres et des indicateurs validés par l’ensemble des organismes internationaux. »
Christian Pèes se dit, lui, optimiste : « Il y a de nombreux signes encourageants au niveau européen. Le nouveau Commissaire à l’agriculture parle d’enjeu stratégique de l’agriculture, ce que ne faisait pas son prédécesseur. Momagri contribue à l’évolution de ces mentalités mais la tâche est immense. Ceci dit, nous sommes de plus en plus consultés et nos avis, davantage pris en compte dans les négociations. La régulation des marchés agricoles est indispensable à la sécurité de la planète et nous sommes en train d’en apporter la preuve. »
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Momagri: Un Think tank et une plateforme d’influence
Créé en 2005 par des responsables du monde agricole*, Momagri s’est donné pour objectif de renouveler la vision et l’avenir de l’agriculture mondiale en la replaçant au cœur des enjeux stratégiques et économiques du XXIe siècle.
C’est un « Think tank** » qui réunit l’ensemble des professions agricoles et des personnalités extérieures venant d’horizons très divers : responsables d’ONG, membres d’institutions gouvernementales, scientifiques, experts, élus, chefs d’entreprise… C’est aussi une plateforme d’influence qui se situe au carrefour des domaines aussi stratégiques que la souveraineté des États, la sécurité alimentaire et la protection de l’environnement.
Trois principes fondateurs guident son action :
- Informer le plus grand nombre sur l’importance stratégique de l’agriculture,
- Être une force de proposition pour organiser une gouvernance mondiale de l’agriculture,
- Construire les instruments d’une nouvelle régulation internationale de l’agriculture.
Parmi ses plus récentes actions, Momagri a créé l’agence NRA (Nouvelles Régulations Agricoles), équivalente agricole des agences de notation financières. Adossée à un conseil de sages, elle réunit des grandes consciences internationales et :
- délivre des avis et des recommandations qui contribuent à définir les prix d’équilibre et les seuils d’alerte,
- préconise les modes de régulations appropriés,
- note les différents pays en fonction de leurs politiques agricoles et environnementales,
- met à la disposition des autres organisations internationales, et notamment de l’OMC et de la FAO, ses analyses et ses prévisions.
Elle développe et tient en permanence à jour des indicateurs-clés par marché et par région en termes :
- économiques (niveau des stocks et des prix,…),
- sociaux (niveau de pauvreté, dumping social,…),
- climatiques et environnementaux,
- énergétiques,
- financiers et monétaires.
Momagri est actuellement présidé par Pierre Pagesse.
* principalement des présidents de coopératives françaises : Pierre Pagesse (Limagrain), Christian Pèes (Euralis), Michel Fosseprez (In Vivo), Michel Delsuc (Domagri)… ** Un think tank (littéralement «réservoir de pensée») est une organisation, en principe de droit privé, indépendante, réunissant des experts, vouée à la recherche d’idées nouvelles, et cherchant à peser sur les affaires publiques. Il fournit des solutions relatives au bien commun, sans participer directement au pouvoir politique, ni tenter de le conquérir.