L’agriculture argentine vue par les jeunes d’Auzeville

Publié le 31 août 2014

Du 13 au 25 mars 2014, un groupe de 18 jeunes, en bac scientifique et bac technologique STAV d’Auzeville, a vécu une aventure peu commune. De fait, ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de participer à un tournoi de rugby au cœur de la pampa argentine… Avec un groupe d’autres élèves du lycée de Bellevue, à Toulouse, l’équipe junior de la Cité des Sciences Verte a ainsi répondu à l’invitation du festival Pampa rugby, un tournoi international qui rassemble chaque année des équipes argentines, australiennes, sud-africaines et françaises.

Les jeunes d'Auzeville au grand complet.
Les jeunes d’Auzeville au grand complet.

C’est Olivier Marin, professeur de sport au lycée d’Auzeville et ancien du Stade Toulousain, qui est à l’origine de ce véritable défi. Avec l’aide de son collègue éducateur, Jérôme Pradels, et de Laurent Viau, conseiller d’éducation, le trio a réussi à monter un véritable projet à la fois sportif, pédagogique et culturel. Challenge collectif, ce voyage aura nécessité l’implication de tous, du proviseur du lycée, Pascal Laborde, aux parents, en passant par l’équipe pédagogique et même Thierry Dussautoir, capitaine du Stade Toulousain et parrain de l’équipe d’Auzeville pour cette opération. C’est qu’il fallait réunir dans les 50.000 € pour boucler le budget d’un tel déplacement. Les réseaux de l’école et des parents d’élèves ont permis de convaincre de nombreux sponsors de participer, financièrement ou en dons matériels. Le reste du financement est venu des nombreuses tombolas et ventes de gâteaux en tous genres organisées par les jeunes eux-mêmes. « Nous avons tous frisé l’indigestion », plaisantait à ce propos Pascal Labordes, lors de la soirée organisée au retour à l’intention de tous les partenaires, pour les remercier de leur générosité.

Une fois les fonds réunis, l’aventure pouvait débuter, direction Bahía Blanca, ville de 300.000 habitants, située au bord de l’Atlantique, à 650 km au Sud-Ouest de Buenos Aires. Davantage un festival qu’un tournoi de rugby, l’évènement a tout de même permis à l’équipe d’Auzeville de s’illustrer par sa vaillance et son fair-play contre des équipes argentines parfois « rugueuses » et généralement de haut niveau. Sur place, nos jeunes, qui avaient tous choisi l’option langue « espagnol » en classe, étaient majoritairement hébergés chez l’habitant. Une immersion qui leur a permis de toucher du doigt la réalité de la vie argentine. Au-delà de l’extraordinaire expérience rugbystique, nos jeunes voyageurs ont profité de leur séjour pour découvrir l’agriculture de cet immense pays. C’est sur ce point que les élèves vous proposent de revenir en partageant leurs impressions et ressentis sur ce pays hors normes, aux cultures et pratiques bien différentes des nôtres.

 

TUP : Quelles sont les images qui vous reviennent quand vous repensez à l’agriculture argentine ?

« Il y en a plusieurs. D’abord, des parcelles interminables, entièrement clôturées, même pour les cultures céréalières, avec des piquets très bien entretenus ! Dans les plaines que nous avons traversées, le paysage ne variait pas. Quasiment pas de relief et des routes toutes droites. Nous nous sommes amusés à compter le nombre de virages, un jour : en 600 km de route, nous avons eu 5 légères courbes… Nous longions d’immenses champs de soja, de maïs et de tournesol. Deux d’entre nous venaient de l’Aveyron. Chez eux, les plus grandes parcelles doivent faire 4 ha. Dans la pampa, la moyenne est à 200 ha… Le contraste était vraiment frappant. À l’entrée des exploitations, il y a généralement un portail. Mais une fois franchi, il n’est pas rare de devoir faire un ou deux km de chemin avant d’arriver à la ferme !

Ensuite, à l’entrée et à la sortie de chaque ville que nous traversions, il y avait d’énormes silos de stockage, flambant neufs, avec des cellules impressionnantes.
Les seules publicités que nous avons vues étaient celles des constructeurs de machines agricoles et des semenciers, avec en tête John Deere, Case IH, Pioneer et Monsanto. »

TUP : Comment travaillent les agriculteurs argentins ?

« Il faut savoir que les terres qui composent la pampa sont d’anciens marécages asséchés naturellement. L’eau est donc disponible facilement, il suffit de creuser quelques mètres et de brancher un moteur sur une éolienne pour avoir un puits pour abreuver les animaux ou remplir les pulvés. L’autre conséquence est qu’il n’y a quasiment pas d’irrigation. Toutes les cultures se font en sec.

Avec des sols calcaires peu profonds, les argentins travaillent généralement en semis direct. Comme les parcelles sont plates, le matériel n’a pas besoin d’être très puissant. On a vu des gros outils attelés à des tracteurs d’à peine 100 cv et souvent pas très récents. Le matériel, surdimensionné, est adapté à la taille des parcelles et des exploitations. Par exemple, ils n’utilisent presque pas de remorques. Les chantiers de récoltes, c’est une moissonneuse, un transbordeur et un camion. Par contre, on a été choqués de l’état des pulvérisateurs et des tracteurs. Fumées noires, des fuites de partout, pas de bac incorporateur, les durites et tuyaux craquelés, etc., on est très loin d’Écophyto. La protection de l’environnement n’est pas vraiment en haut de la liste de leurs préoccupations… »

TUP : Qu’en est-il de l’élevage ?

« Le soin apporté aux clôtures contraste avec celui porté aux animaux. Ceux-ci sont quasiment laissés à eux-mêmes. Les troupeaux ont un point d’eau et pour le reste, débrouille-toi ! En fait, ces clôtures servent à faire pâturer les bêtes une fois les récoltes terminées. Les vaches broutent ce qu’elles y trouvent, il n’y a aucun concentré, ni fourrage distribué en complément. Ils ont d’ailleurs une pratique qui semble assez incroyable, vu de chez nous. Pour les cultures de sorgho fourrager, les agriculteurs argentins ne s’embarrassent pas à les récolter. Ils lâchent tout simplement les bêtes dedans ! On a vu une parcelle avec du sorgho à 2m.50 de hauteur entièrement rasée par un troupeau. Il n’en restait rien à la fin de la journée… Côté sanitaire, c’est simple également. Quand une bête a un problème vétérinaire, elle est abattue et laissée sur place, où les charognards se chargeront de la faire disparaître. Les vaches, de race rustique d’origine anglaise, sont gardées environ 2 ans, avant d’être regroupées et envoyées à l’abattoir. Elles ne sont bien sûr pas grasses et sont vendues 120 €/tête. »

TUP : Quelle image a l’Argentine de ses agriculteurs ?

« Ça dépend de quel point de vue on se place… La population a globalement une bonne opinion de son agriculture, qui est quand même la première ressource économique du pays. Le ton n’est pas le même du côté du pouvoir politique. La Présidente de l’Argentine, Cristina Kirchner, est accusée par les agriculteurs de favoriser l’industrie au détriment de l’agriculture. Sous sa présidence, les taxes sur les productions agricoles et leur exportation se sont envolées. Les agriculteurs qu’on a rencontrés disent que c’est le niveau des taxes qui oblige à s’agrandir. Pour dégager des revenus suffisants, une exploitation doit faire au minimum 2.000 ha. Avec un ha à 2.000 €, l’investissement est énorme et seules les plus grosses exploitations s’en sortent encore. Enfin, la Présidente semble être entrée en guerre contre les semenciers américains. On a vu une grande banderole attachée sur la façade du ministère de l’agriculture qui disait « Fuera Monsanto » (Dégage Monsanto). Alors que le soja Round-Up Ready est majoritaire dans ce pays, qui est le 3ème exportateur mondial de soja, ça en dit long sur les tensions qu’il doit y avoir entre le Gouvernement et les organisations agricoles argentines. »

TUP : Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?

Nous en gardons un souvenir ému, fait de très belles rencontres humaines, que ce soit avec les familles d’accueil, les joueurs que nous avons affrontés et les argentins en général. D’un point de vue agricole, ce voyage nous a permis de découvrir une agriculture radicalement différente de la nôtre. Et si certaines pratiques nous semblent d’un autre âge, il y a quand même plusieurs idées à prendre chez eux, comme leurs techniques de semis direct. Enfin, cette expérience a donné à certains d’entre nous l’envie de retourner en Argentine, notamment pour y étudier l’élevage. Travailler sur une exploitation de 10.000 ha et 6.000 animaux, ça doit être une sacrée expérience…

Auteur de l’article : Sébastien Garcia