Publié le 30 avril 2010
Pierre Espagnet s’inquiète. « Le comité de pilotage (Copil) prévu à Bordeaux le 31 mai va se prononcer définitivement sur le choix du fuseau dans lequel passera la Ligne à Grande Vitesse », explique l’élu Chambre d’Agriculture, en charge du dossier LGV pour la Haute-Garonne. « Nous devions rencontrer le Conseil Régional le 19 mai, au sujet de deux gros problèmes induits par le tracé qui risque d’être retenu. Mais la rencontre a été reportée. » L’horloge tourne et la Chambre d’Agriculture remue ciel et terre pour rencontrer Martin Malvy avant la date fatidique. « Nous avons quand-même bon espoir d’y parvenir », estime Yvon Parayre, son Président.
Deux points qui fâchent
La variante « D », qui semble avoir les faveurs de Réseau Ferré de France (RFF) comporte 2 points noirs pour l’agriculture : la Vallée de la Garonne, au-dessus de Saint Jory et la sortie du tunnel de Pompignan/Saint Rustice. « À ces 2 endroits, il y a un gâchis du foncier et du paysage, sans compter la mise en danger de plusieurs exploitations », précise Pierre Espagnet. « Au niveau de Saint Jory, il y a déjà l’autoroute et le canal. Tout ce que nous voulons c’est que la LGV colle le plus possible à ces 2 ouvrages, pour éviter de sacrifier inutilement la vallée et les agriculteurs qui s’y trouvent. Quant au tunnel, il débouche pile au centre de 150 ha de vignobles d’un seul tenant ! C’est un endroit magnifique, qui héberge 4 domaines viticoles de renom. La demande de la Chambre d’Agriculture est de prolonger ce tunnel de 500 mètres pour préserver ce site exceptionnel. La seule réponse que l’on a eue est que ça coûte cher. Comme quoi les politiques sont très forts pour nous parler de développement durable. Mais quand ça les touche de trop près, il n’y a plus personne… »
Limiter les impacts
Yvon Parayre le répète, la volonté de la profession agricole, dans le cadre du projet de LGV, s’inscrit dans les objectifs de pérennisation du potentiel de production, du Grenelle de l’environnement et de la Loi de Modernisation Agricole. « Minimiser l’impact d’un tel ouvrage sur l’agriculture, contribuer à sa valorisation, articuler les stratégies d’aménagement du territoire : voilà trois orientations fortes qui permettent la prise en compte des enjeux agricoles », rappelle-t-il. Le projet de LGV a un effet structurant sur le territoire. Mais cela doit aussi être le cas pour l’agriculture. La Chambre d’Agriculture veut voir se maintenir tous les projets agricoles le long de la future ligne TGV. Il faut pour cela limiter au maximum les effets de coupures sur le territoire qu’elle traverse.
Les aménagements proposés par la profession ont pour objectifs de pallier aux impacts directs et indirects de la ligne TGV sur l’activité agricole et les équipements associés. Les mesures ci-dessous, au-delà de rendre un équilibre à l’exploitation, sont également réfléchies pour valoriser la ressource agricole :
- Se rapprocher du canal et de l’autoroute afin de minimiser les effets de coupures,
- Diminuer la largeur d’emprise de la ligne (actuellement 50 mètres alors que la ligne TGV de l’est parisien a été ramenée à 13 m. dans les vignobles champenois)
- Assurer un retour à l’équilibre des exploitations agricoles.
Dans un courrier au Président du Conseil Régional, la Chambre d’Agriculture a synthétisé les objectifs souhaités par la profession.
Les enjeux agricoles | Les objectifs à atteindre |
Impacts fonciers sur les exploitations |
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Impacts dans la structure de l’exploitation et les équipements |
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Impacts sur le paysage |
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Bien décidée à ne pas lâcher, la Chambre d’Agriculture a contacté tous les médias départementaux et régionaux, pour une conférence de presse prévue le 26 mai, afin de sensibiliser les populations et leurs élus aux problématiques agricoles. « Au-delà de notre métier, c’est tout un mode de vie des habitants du nord toulousain qui sera impacté », conclut Pierre Espagnet. « Nous prenons nos responsabilités sur ce dossier mais ce n’est pas tous seuls que nous pourrons nous faire entendre. »
« Où est la préservation des territoires ? »
Témoignage de Jean-Claude Labit, agriculteur à Castelnau d’Estrètefonds
« Pour la partie Pompignan-Saint Jory, un relevé a mis en évidence qu’il n’y a que 7 ha de vignes, le long de l’autoroute, dont la disparition n’aurait pas d’impact majeur sur le territoire. Il faudrait donc faire passer la LGV à ras de cette autoroute, pour y concentrer les nuisances. Au lieu de cela, le tracé prévoit de quitter l’autoroute au niveau de Fronton, avec un tunnel plein sud qui débouche à Pompignan. Puis il franchit, par un pont, le canal latéral d’est en ouest, au niveau de Saint Rustice. Et comme les Voies Navigables de France ne veulent pas que la voie passe le long du canal, celle-ci serait déplacée sur la plaine de la Garonne, pour rejoindre Saint Jory. Or il y a 2 jeunes agriculteurs dans cette plaine de la Garonne qui feront les frais de cette décision : Sébastien Rey et François Andorno. François, qui est aussi mon associé, est le plus menacé. La LGV passerait au milieu de ses pivots et couperait l’exploitation en deux. Autant dire que, dans ce cas de figure, c’est fini pour lui.
C’est pourquoi notre proposition est de suivre l’autoroute (où il n’y a pas d’agriculture, seulement des friches) et de faire partir le tunnel d’avant Castelnau d’Estrétefonds pour le faire ressortir après Saint Jory. Nous ne sommes pas contre la LGV. Mais au moins, qu’on essaye d’en limiter les inconvénients. Je ne comprends pas pourquoi il n’est pas question de suivre l’autoroute, ce qui, à notre avis, occasionnera le moins de dégâts. Sans compter que la partie en tunnel préserverait les riverains des énormes nuisances sonores de la LGV. Je rappelle que, dans le projet « D », la voie serait surélevée de 5 mètres, pour cause de zone inondable. Toute la zone de coteaux de Pompignan à Castelnau en souffrirait. Parfois, je doute vraiment du sérieux des personnes qui nous parlent de préservation des territoires et de développement local. »
« Il n’y a pas que la LGV ! »
Pour Charles Tapie, Directeur de la Chambre d’Agriculture 31, il ne faut pas uniquement se focaliser sur le projet de ligne à grande vitesse : « Entre 2010 et 2020, il y a en tout 4 chantiers qui vont consommer du foncier agricole sur le nord toulousain ! La LGV, bien sûr, mais aussi la construction du « Pont Garonne », l’extension de la zone Eurocentre et des gravières. Si nous faisons une estimation globale, ce sont plus de 1000 hectares, sur des secteurs de productions à fortes valeurs ajoutées (viticulture, maraîchage, vergers, céréales irriguées), qui partiront à l’artificialisation (voir tableau ci-dessous). » En tant qu’organisme consulaire, la Chambre d’Agriculture est consultée sur chacun de ces projets, sur lesquels elle doit émettre un avis. « Le problème est que nous voudrions raisonner globalement, en terme de territoires, sur ces 4 projets simultanément », poursuit Charles Tapie. « Or, les différents porteurs de projets n’ont pas de liens entre eux. Ils ne connaissent que les enjeux liés à leur seul chantier, alors qu’ils se superposent et se cumulent avec les autres. Pris séparément, on peut croire que les problèmes soulevés par ces ouvrages peuvent avoir des solutions relativement simples. Mais quand on a une vue d’ensemble, comme c’est notre rôle, le constat est criant. L’impact cumulé de ces projets sur l’agriculture de ce secteur est énorme. »
LGV |
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« Pont Garonne » |
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Eurocentre |
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Gravières |
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