«Je travaille à multiplier les rendements par deux»

Publié le 20 septembre 2015

Ce sera un des évènements immanquables des Pyrénéennes. La conférence de Konrad Schreiber « Autonomie protéique en élevage » devrait, en effet, bousculer bien des idées reçues. Le TUP a pu lui poser quelques questions sur son parcours et sa vision de l’agriculture d’aujourd’hui.

 

TUP : Vous êtes agronome et membre fondateur de l’IAD (Institut de l’Agriculture Durable). Qu’est-ce qui vous a motivé à revoir en profondeur les fondamentaux de l’agriculture et de l’agronomie ?

Konrad Schreiber : J’ai débuté ma carrière en Bretagne Centre, où j’étais éleveur laitier, en système herbager. Également Président d’une grosse CUMA, j’ai pu observer les différences entre les systèmes de production et surtout l’impasse où nous menait une PAC uniquement gérée par une réglementation de plus en plus pesante. De plus, cette dernière opposait l’élevage aux céréales, plus favorisées, alors que ces deux productions sont depuis toujours complémentaires. Nous sommes plusieurs à avoir commencé à trouver des solutions. Nos échanges, nos voyages et nos recherches nous ont conduits à aller les chercher du côté de l’agronomie. En 2000, j’ai décidé de reprendre des études et, diplôme d’ingénieur en poche, me consacrer à développer une idée simple. L’agriculture doit produire sans polluer, sous peine de perdre la bataille économique. En cela, l’agronomie a des potentiels plus importants que la loi, en ce qu’elle permet à la fois d’augmenter les rendements tout en coûtant moins cher à produire. Je suis parti du fonctionnement des prairies permanentes pour construire des solutions agroécologiques applicables aux cultures, qu’elles soient fourragères ou non.

 

TUP : Quelles en sont les grandes lignes ?

K.S. : Nous sommes partis du principe qu’une prairie est peu travaillée et qu’elle dispose de ce fait d’une activité biologique très riche et d’une importante capacité de stockage de carbone. Cette « recette » vaut pour tous les sols, quelle que soit la culture. Moins on les touche, plus ils sont riches en matière organique et moins il y a d’accidents de culture. En résumé, il faut bien nourrir le sol, pour qu’il puisse bien nourrir la plante, qui à son tour nourrira bien les hommes. Mais si le principe est simple, il impose de revoir sa conception de l’agriculture et du travail du sol. Les débats, dans un premier temps, ont porté sur la suppression du labour qui allait à l’encontre du schéma : « je laboure, je sème et je récolte ». Le système d’agriculture de conservation, c’est plutôt l’inverse : « je récolte puis je sème ». La restitution du maximum de résidus de culture possible, associée une couverture végétale permanente du sol, permet non seulement de recharger le stock d’éléments minéraux (le « garde manger » de la culture), mais aussi d’améliorer la stabilité structurale pour faire face à l’érosion et à la battance des sols. Et la biodiversité des sols, notamment avec les vers de terre, se charge de « labourer » le sol, mais de façon naturelle et non destructive pour les habitats de la micro et macrofaune du sol. Et tout cela, gratuitement…

 

TUP : Comment ont été accueillis vos travaux ?

K.S. : Avec méfiance, évidemment. Mais dans un sens, il est préférable que les agriculteurs ne prennent pas pour argent comptant les affirmations du premier venu. Annoncer que l’on peut protéger mieux ses cultures, en diminuant drastiquement les intrants et en maintenant, voire même augmentant, les rendements et la rentabilité, cela bouscule pas mal d’idées reçues. Il est logique que ce discours perturbe un peu… D’autant que j’annonce clairement que les rendements culturaux peuvent doubler avec des systèmes agronomiques bien menés et cependant simples à mettre en place. Tout comme je pense qu’on peut diviser l’irrigation par deux sur des sols en pleine santé. Nos essais ont déjà montré une diminution de 30% dès les premières années…

 

TUP : Pourquoi, dans ce cas, tout le monde ne s’est pas rué vers vos solutions ?

K.S. : Pendant longtemps, personne ne travaillait sur ce sujet, à part quelques associations d’agriculteurs. Nous étions peu, voire pas entendus. Mais depuis la réforme de l’agriculture, l’agroécologie est apparue dans les lignes politiques. Du coup, le monde agricole regarde aujourd’hui plus attentivement les travaux menés par les pionniers de cette agroécologie avant l’heure. Il faut dire aussi que le fonctionnement du système agricole français, bâti sur le labour, la fertilisation et la lutte chimique, est toujours fortement ancré dans les esprits. En voyageant dans d’autres pays, on voit que d’autres systèmes existent et fonctionnent. Il ne s’agit pas de réinventer la roue, de revenir en arrière, d’opposer le chimique au bio, etc. Chaque système a sa place et son importance. Je préconise juste d’intégrer le fonctionnement naturel des sols dans les conduites culturales, de prendre les bonnes idées là où elles se trouvent et de bousculer un peu ses habitudes.

 

TUP : Quelles sont les bonnes idées que vous proposerez lors des Pyrénéennes ?

K.S. : Puisqu’on parlera de cultures fourragères, je reviendrai sur les faiblesses du maïs ensilage pour équilibrer une ration en énergie, ou celles de l’association ray-grass/trèfle blanc, en termes de productivité des systèmes herbagers. Il y a plusieurs façons d’augmenter considérablement le rendement des prairies. C’est pourquoi je parlerai de méteil, de fertilisation des prairies, de double-culture, de non-labour, etc. Il y a un gros défi à relever sur les cultures fourragères. Devenir autonome en protéines sur son exploitation permet à l’éleveur d’être moins dépendant des organismes économiques et de s’assurer un meilleur revenu, de façon pérenne. Des atouts qui, au vu de la crise actuelle de l’élevage, méritent qu’on s’y penche d’un peu plus près.

Auteur de l’article : Sébastien Garcia