Publié le 10 décembre 2010
Nouveau coup de sang sur le dossier irrigation. « Ça ne peut plus durer », tempête Luc Mesbah, en charge du volet Eau à la Chambre d’Agriculture 31. « Après la manifestation du 8 mars dernier, nous avons rencontré le ministère de l’agriculture puis celui de l’écologie, pour faire leur faire prendre conscience des dangers de la Loi sur l’Eau pour l’agriculture du Sud-Ouest. » Pour rappel, la directive cadre sur l’eau prévoit que le calcul des volumes prélevables dédié à l’irrigation agricole sera basé sur l’année la plus sèche sur une période de 5 ans. Cela se traduit, pour la Haute-Garonne, par une diminution d’un tiers des autorisations de pompage que les agriculteurs détiennent aujourd’hui de façon individuelle. Ajoutez à cela l’augmentation de 50% de la redevance irrigation et vous aurez un aperçu de ce qui attend les agriculteurs usagers : moins d’eau payée plus cher…
L’avenir de l’agriculture remis en cause
« La seule réponse qui nous ait été faite est la possibilité d’attribuer des volumes de prélèvement d’eau additionnels », ajoute Luc Mesbah. « Cela ne nous convient pas du tout car ces volumes supplémentaires seront connus trop tard. D’une part, il faudrait déjà que nous les ayons avant de mettre en place de nos assolements. Et d’autre part, ce système ne nous permet plus d’avoir de perspectives d’investissements à long terme. »
Devant l’indifférence des Pouvoirs Publics au regard de l’urgence de la situation, les irrigants de Haute-Garonne et du Tarn-et-Garonne ont donc décidé de réagir. Le 29 novembre dernier, une centaine d’irrigants de ces deux départements est venue faire le siège du Conseil Régional de Midi-Pyrénées. Dans ses murs se tenait une réunion du Comité de Bassin Adour-Garonne (voir explications dans l’encadré). « C’est là que sont délibérées les augmentations de redevance et les procédures de calcul des volumes prélevables », précise Luc Mesbah. « Et le prochain programme quinquennal 2012-2017, sur lequel planche le comité de bassin, prend la même orientation, avec de nouvelles augmentations de redevance à la clé. C’est bien l’avenir de l’agriculture du Sud-Ouest qui est ici en jeu. Mais avec 9 représentants de l’agriculture sur 135 membres, nous ne pesons pas lourds. » Il fallait donc faire entendre la voix de la profession agricole d’une façon ou d’une autre. Les manifestants ont donc essayé de s’inviter à la réunion. Mais la tentative a tourné court. Policiers et compagnies de CRS avaient condamné toutes les entrées du Conseil Régional, transformé pour la matinée en véritable camp retranché où ne pouvaient entrer ni la presse, ni les visiteurs.
« Reconvertir les irrigants »…
Le bruit de la manifestation est tout de même parvenu jusqu’à Martin Malvy, Président du Conseil Régional Midi-Pyrénées mais aussi du Comité de Bassin Adour-Garonne. Il a accepté de rencontrer une délégation d’agriculteurs à la fin du comité de bassin. Emmenée par Philippe de Vergnette, Président de la Chambre d’Agriculture du Tarn-et-Garonne, et Luc Mesbah, la délégation s’est entretenue avec plusieurs responsables techniques et administratifs* accompagnant Martin Malvy. Discussion qui n’a pas démarré sous les meilleurs auspices, le Président du Conseil Régional ayant été entendu parlant, en aparté, de « trouver des mesures de reconversions pour les agriculteurs irrigants »… Il n’en fallait pas plus pour faire bondir Philippe de Vergnette. « On n’est pas des Molex ! », lui lança-t-il. « Nous n’avons pas besoin de mesures sociales mais d’une politique de gestion de l’eau qui ne sacrifie pas l’agriculture régionale. » Même s’il s’est défendu d’en arriver à de telles extrémités, Martin Malvy n’a pas convaincu les représentants agricoles. Dans un communiqué de presse envoyé le lendemain matin, il s’est « engagé à transmettre au préfet de Région, les revendications des agriculteurs en lui demandant de poursuivre la concertation et de rechercher des solutions conformes à la problématique de l’eau et des intérêts de l’agriculture. » Insuffisant selon les responsables agricoles. « Tout le monde se renvoie la balle », lâche Luc Mesbah. « L’agence de l’eau, le comité de bassin, la Préfecture, le ministère se cachent les uns derrière les autres et personne ne veut assumer ses décisions. » Il est certain qu’en cette période préélectorale, il est de bon ton de hurler avec les loups et de flatter l’opinion publique à coups de surenchères environnementales. La chasse aux voix est rarement compatible avec le courage politique…
L’exception Chauzy
Une voix et une seule s’est levée pour condamner les funérailles annoncées de l’irrigation. C’est celle de Jean-Louis Chauzy, Président du Conseil Économique et Social Régional (CESR) et membre du comité de bassin dans le collège des usagers de l’eau. Il a, en effet, quitté un moment la réunion pour aller apporter son soutien aux manifestants. Son discours n’a pas changé depuis son intervention devant la Préfecture, lors de la manifestation du 8 mars dernier. Devant les agriculteurs et les caméras présentes, il a réaffirmé l’importance vitale de maintenir une agriculture performante dans la région. « La première activité économique du Sud-Ouest, c’est l’agriculture et l’agroalimentaire. Or il n’y a pas d’agriculture sans eau, sauf dans les colloques », a-t-il ironisé. Et de rappeler que, selon les projections démographiques de l’INSEE, Midi-Pyrénées doit se préparer à accueillir près de 500.000 nouveaux habitants d’ici 2030. « Notre région doit savoir préparer l’avenir et construire, avec l’État et les collectivités, les réserves d’eau nécessaires qui contribueront aussi à améliorer la qualité de la ressource et l’attractivité de la région », insistait-il. Alors que l’Agence de l’Eau participe au développement de l’irrigation au Sénégal, au travers notamment de la construction de grands barrages, il est totalement contradictoire de refuser ces mêmes créations de ressource, dans une région où l’eau n’est pourtant pas une denrée rare. « L’eau constitue notre pétrole puisque nous vivons entre deux châteaux d’eau que sont le Massif Central et le Massif des Pyrénées », rappelle Jean-Louis Chauzy. « Depuis 20 ans, les agriculteurs ont fait d’immenses efforts pour intégrer de nouvelles pratiques, pour développer une agriculture responsable, respectueuse de l’environnement et parfaitement sécurisée. Il est temps de comprendre que la première fonction de l’agriculture est de nourrir les hommes, tous les hommes. Et de lui donner les moyens de continuer… »
* André Crocherie, directeur régional de l’environnement (DREAL), Michel Sallenave, directeur régional de l’agriculture (DRAAF), Marc Caffet, président de l’Agence de bassin et Claude Miqueu, président de la commission planification du Comité de bassin.Agir au plus haut niveau
Retenu à Paris ce même jour, Yvon Parayre, Président de la Chambre d’Agriculture 31, en a profité pour contacter la direction du cabinet du ministre de l’agriculture. « J’ai exposé la gravité de la situation pour les irrigants du Sud-Ouest et invité Bruno Lemaire dans notre département », précise-t-il. « Il pourrait ainsi se rendre compte par lui-même de la position dans laquelle nous met cette directive et le rôle que joue l’irrigation dans l’agriculture de notre région. »
Si aucune date n’a pour le moment été convenue, un accord de principe a été obtenu de la part du ministère de l’agriculture sur un déplacement en Haute-Garonne.
« Outre le dossier de l’eau, nous avons beaucoup de choses à dire au ministre », souligne Yvon Parayre. « Les handicaps naturels de notre département font partie des dossiers que nous soumettrons à Bruno Lemaire et pour lesquels nous comptons obtenir des avancées significatives. » La balle est désormais dans le camp du ministre.
Agence de l’eau, comité de bassin, … Qui fait quoi ?
Les agences de l’eau, créées en 1964, interviennent dans le développement de la politique de l’eau en France. Ces établissements publics autonomes, sous la double tutelle du ministère de l’Ecologie et du développement durable et du ministère du Budget, mettent en œuvre les orientations définies par les comités de bassin, en vue de protéger les ressources en eau et d’assurer leur dépollution.
Les agences de l’eau distribuent des aides financières aux collectivités locales, aux industriels et aux agriculteurs qui s’engagent à sauvegarder les ressources et la qualité de l’eau. Elles contribuent ainsi au financement d’opérations d’intérêt collectif pour l’aménagement des ressources en eau, la lutte contre la pollution et la réhabilitation des milieux aquatiques. Ni maître d’ouvrage, ni maître d’œuvre, elles apportent leurs moyens techniques et financiers aux personnes publiques et privées qui réalisent ces opérations. Pour subventionner ces opérations, les agences de l’eau perçoivent des redevances auprès des utilisateurs de l’eau, calculées selon le principe du « pollueur-payeur », en fonction des quantités de pollution rejetées et des volumes prélevés.
L’action des agences de l’eau est planifiée sur 5 ans, sous forme de « programmes d’intervention » qui fixent les priorités d’action et leur financement pour chaque bassin. Ces programmes doivent être adoptés par les comités de bassin et approuvés par le Premier Ministre.
Dans chaque bassin, un comité de bassin, « parlement local de l’eau », élabore une politique de gestion de l’eau conciliant les besoins du bassin avec les orientations nationales. L’agence de l’eau est l’organisme exécutif chargé de mettre en œuvre cette politique. Le préfet et le délégué de bassin coordonnent les actions menées dans les différents départements et régions du bassin. Les comités de bassin réunissent toutes les « familles » de l’eau en vue d’émettre des avis et d’élaborer une politique de bassin cohérente avec les orientations nationales et avec les directives européennes.
Source : Agence de l’eau Adour-Garonne