Publié le 12 mai 2017
Nous étions 150 agriculteurs, avec une trentaine de tracteurs, le 4 mai dernier, devant le tribunal administratif de Toulouse pour attendre le verdict de l’audition de Simon Barbaste. Pour rappel, cet agriculteur de Montégut-Lauragais (canton de Revel) était convoqué suite à une plainte de la Police de l’Eau ou plutôt l’Agence Française pour la Biodiversité (AFB), son nom officiel depuis le 1er janvier 2017.
Interprétations diverses de la loi
En mai 2016, Simon Barbaste traite des repousses au glyphosate avant de semer son soja. En bord de parcelle, un fossé. Répertorié en pointillé bleu sur les cartes, non nommé et situé hors Zone Vulnérable, ce fossé ne nécessite pas de précaution particulière en matière de traitement. L’agriculteur n’emploiera toutefois que le tiers de la dose homologuée. Mais trois semaines plus tard, des contrôleurs de l’AFB constatent la présence de végétaux brûlés par le traitement dans le fossé. Or, dans les jours précédents, il est tombé environ 80 mm de pluie dans le secteur et il y a donc de l’eau dans le fossé. Il n’en fallait pas plus pour dresser un PV à l’encontre de l’exploitant pour pollution d’un cours d’eau. « Je n’ai été entendu par un agent de l’AFB que fin juillet », explique Simon Barbaste. « Je lui ai donné tous les détails de mon intervention, que je n’ai pas niée vu que j’étais en conformité avec la loi. L’agent m’a déclaré entendre mes arguments et devoir en référer à son chef. Il a tout de même ajouté qu’il préfèrerait voir des gyrobroyeurs que des pulvés dans les champs… » En janvier, il était à nouveau entendu, à la gendarmerie, cette fois. Et le 23 mars, il recevait une convocation au Tribunal. Depuis le début de l’affaire, nous avons tenté de trouver un interlocuteur pour plaider la cause de Simon. Peine perdue, ni la DDT, ni la DRAAF, ni la Préfecture ne semblent avoir de prise sur cette décision. L’AFB, elle, déclare que les choses sont désormais dans les mains du Procureur de la République. Jusqu’à ce jeudi matin de mai, où notre collègue comparaissait devant le délégué du Procureur. L’affaire sera vite expédiée. Convoqué à 10 h, il nous a rejoints devant le tribunal un quart d’heure plus tard.
Épée de Damoclès
Il semblerait qu’il y avait une certaine gêne dans les rangs de la justice et de la gendarmerie sur cette affaire. Indemne de toute poursuite pénale, l’agriculteur a eu droit à un rappel à la loi. Ce qui ne le soulage pas pour autant. « On m’a juste dit que je ne devais pas traiter le long des fossés, ni même des flaques d’eau quand il pleut », déclarait-il à la sortie. « J’ai eu beau leur rappeler que le fossé était sec quand je suis intervenu, c’est un dialogue de sourds. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’en cas de nouveau contrôle positif de l’AFB dans les trois ans, la justice peut revenir à la plainte initiale et m’infliger 150.000 € d’amende et 6 mois de prison. Quand je vois qu’on peut se retrouver au Tribunal alors qu’on respecte la loi mais qu’un contrôleur l’interprète à sa façon, je préfère revendre mon pulvérisateur. Les risques sont trop élevés. » Une épée de Damoclès inadmissible ! Il faut arrêter ces incohérences de la réglementation française. « Un fossé est là pour recevoir de l’eau, tôt ou tard », s’insurgeait le Président de la FDSEA, Christian Mazas. « Pour être dans les règles, nous utilisons du matériel très coûteux qui nous pénalise par rapport à nos voisins européens. C’est pesant, mais nous l’acceptons volontiers. Il est par contre inadmissible que des agriculteurs soient traînés devant la justice pour avoir respecté cette loi ! Nous sommes venus dire stop à ces excès de zèle. Non seulement, nous ne pouvons plus faire notre travail, mais dans le même temps, ce harcèlement fait croire à nos concitoyens que nous sommes en train de les polluer en permanence. C’est faux ! Tous les jours, nous faisons en sorte de respecter le consommateur dans les produits que nous mettons sur le marché. »
Patate chaude
Notre action syndicale ne s’est pas arrêtée là. Le cortège et ses tracteurs se sont ensuite rendus, sous haute surveillance policière, devant les locaux régionaux de l’AFB, où une délégation d’agriculteurs a été reçue par la direction. Après une longue entrevue, nos responsables syndicaux sont ressortis plutôt… désemparés. « Je tombe des nues », résumait Amaury de Faletans, Secrétaire Général de la FDSEA 31.
« Pour résumer, les agents de l’AFB font référence, sur leur PV, à la loi sur les Zones Non Traitées (ZNT) de 2006 qui n’est plus valable aujourd’hui, puisqu’elle a été cassée. Une autre loi est en cours de validation par le Gouvernement, dans laquelle la FDSEA 31 s’est fortement impliquée. L’arrêté devrait sortir en juin. Pour éviter les problèmes comme celui de Simon Barbaste, la DRAAF a rédigé une note de service indiquant la carte de référence des cours d’eau, en attendant les nouvelles règles. Ce qui est fabuleux, c’est que l’AFB n’a pas eu connaissance de cette note et que, de toute façon, elle estime ne pas avoir d’ordres à recevoir de la DRAAF ! Pire, le directeur de l’AFB nous a avoué qu’une fois ses agents dans la nature, il n’a plus aucune prise sur eux. En clair, ils interprètent la loi comme bon leur semble, dressent les PV et les envoient directement au Procureur. Chacun fait sa sauce de son côté, se refile au besoin la patate chaude et, en bas de l’échelle, l’agriculteur subit. »
C’est donc en toute logique que nous avons demandé à rencontrer d’urgence le Procureur de la République. En attendant, nous avons proposé à l’AFB de se référer aux cartes de l’arrêté BCAE jusqu’au mois de juin et de faire preuve de discernement sur le terrain. « Aujourd’hui, on a fait de la prévention », prévenait Christian Mazas. « Il est hors de question qu’un autre agriculteur se retrouve au tribunal pour ce même motif. »
Communiqué de la FDSEA 31
Suite à la parution de cet article dans le Trait d’Union Paysan du 12 mai 2017, l’Agence Française pour la Biodiversité a demandé un droit de réponse. Paru le 09 juin 2017, nous le publions in extenso ci-dessous.
Droit de réponse de l’AFB
La préservation de l’eau, des milieux aquatiques et des nombreux usages associés à ces ressources est plus que jamais une question d’actualité et d’avenir, en particulier pour le bassin Adour-Garonne. Au-delà des actions d’information, de sensibilisation et d’incitation qui demeurent indispensables, la mise en œuvre des réglementations applicables dans ces domaines s’accompagne d’une politique de contrôle, afin d’en vérifier l’effectivité. L’objectif essentiel de cette politique de contrôle est de veiller à limiter les atteintes aux ressources naturelles tout en garantissant une équité des usagers devant la réglementation.
Cette réglementation étant parfois complexe, il est essentiel que tout citoyen puisse disposer d’une information précise sur sa mise en œuvre. Compte tenu des inexactitudes figurant dans l’article intitulé « le PV de trop » paru dans ces colonnes le 12 mai dernier, qui mettait en cause l’Agence Française pour la Biodiversité, j’ai souhaité apporter les éléments d’information suivants.
Les agents de l’Agence Française pour la Biodiversité, sous l’autorité des préfets et procureurs de la République, sont chargés, en tant qu’inspecteurs de l’environnement, de contrôler le respect des lois et règlements environnementaux adoptés respectivement par le parlement et le gouvernement. Dans chaque département, un plan de contrôle validé par le préfet et le procureur de la République précise annuellement pour chaque thématique prioritaire du département, la typologie des territoires à contrôler, les critères d’intervention, et les propositions de suites, administratives ou judiciaires, à donner aux contrôles non conformes.
Dans le département de la Haute-Garonne, les agents de l’AFB ont réalisé en 2016 une centaine de contrôles, dont plus de 80 étaient conformes, soulignant ainsi qu’une grande majorité de la population respecte la réglementation. Les non-conformités relevées (18 au total) ont été constatées selon les modalités prévues par le plan de contrôle : ainsi la voie judiciaire a été privilégiée pour 4 constats qui ont alors donné lieu à la rédaction de procès-verbaux. En d’autre termes, les inspecteurs de l’environnement de l’AFB ne sont pas livrés à eux-mêmes, ne portent pas plainte en verbalisant, mais exercent leur mission de police dans un cadre et selon une stratégie de contrôle déterminés par les autorités locales. Ils sont tenus de rendre compte de toute situation infractionnelle dont ils viendraient à prendre connaissance au procureur de la République intéressé, qui seul apprécie l’existence de l’infraction et de son (ou ses) auteur(s) présumé(s) avant de décider au cas par cas de l’opportunité des poursuites à engager.
Les conditions de l’utilisation des produits phytosanitaires font ainsi l’objet de contrôles qui montrent une évolution très positive des pratiques, ce dont il faut se féliciter, de nature à améliorer la qualité des eaux actuellement impactée par les pesticides (33 % des fleuves, rivières et plans d’eau étant encore contaminés dans le bassin Adour-Garonne). Tous les utilisateurs de ces produits sont concernés (agriculteurs, entreprises, collectivités, particuliers) et en 2016 deux infractions seulement ont été relevées en Haute-Garonne, un agriculteur et une entreprise étant concernés. L’exercice de cartographie des cours d’eau, actuellement en cours dans tous les départements de la région Occitanie avec l’appui technique des agents de l’AFB, devrait permettre d’améliorer la compréhension du dispositif de contrôle de l’utilisation des produits phytosanitaires à proximité des points d’eau.
La clarification des enjeux, des objectifs et des conditions d’application de la réglementation environnementale permet d’en améliorer sa compréhension par les usagers : l’AFB et ses services locaux peuvent être sollicités pour toute information à ce sujet.
Hervé Bluhm, directeur régional Occitanie de l’AFB