Publié le 9 décembre 2014
« On n’est pas loin de toucher le fond, il faut réagir ! » C’est par ces mots que Francis Ader clôturait la matinée d’une journée consacrée aux Associations Foncières Pastorales (AFP), le 20 novembre 2014 à Arguenos. Organisée par la Cellule Montagne Pastoralisme de la Chambre d’Agriculture de Haute-Garonne, cette rencontre a rassemblé une cinquantaine d’élus, porteurs de projet du Comminges. Venus s’informer sur le dispositif de l’AFP et ses modalités de mise en œuvre, ils ont également eu l’occasion de voir ce qu’est une AFP qui fonctionne. De fait, celle d’Arguenos fêtait 2 jours plus tard ses 40 ans d’existence. La forte participation montre que l’aménagement des zones intermédiaires des Pyrénées (entre 600 et 1.200 mètres d’altitude) devient un enjeu réellement prégnant pour l’avenir économique et social de ces territoires, menacés par un ensauvagement inquiétant.
Des paysages en perte d’attractivité
Effondrement du système agropastoral traditionnel, déprise agricole, baisse du nombre d’exploitations et « délocalisation en fond de vallée, …, les paysages des zones intermédiaires se ferment depuis le début du 20ème siècle, recolonisés par la forêt. L’environnement des villages et leur cadre de vie se dégradent très rapidement et les risques naturels (incendies…) augmentent inexorablement. « Les territoires montagnards ont perdu de leur hospitalité », estime Leslie St Geniez, animatrice de la Cellule. « Nous assistons à un dépeuplement, mais aussi à une baisse de la fréquentation touristique. Dans ces conditions, le maintien et le développement des activités pastorales, notamment sur les estives, sont indispensables pour inverser cette tendance. » C’était un des objectifs de la journée : faire prendre conscience aux élus des nombreux impacts de l’agriculture sur ces territoires. Outre les produits agricoles de qualité qu’elle fournit, une agriculture en montagne dynamique ouvre et entretient les espaces et permet ainsi une richesse biologique reconnue. Créatrice d’emplois, l’agriculture permet également d’y fixer des familles mais aussi de maintenir l’hospitalité des villages de montagne, d’y conserver une population active et d’assurer le maintien de services de proximité qui bénéficient à tous. Mais le développement et la modernisation de l’agriculture en montagne ne pourra passer par l’agrandissement des troupeaux, qui montre déjà ses limites (perte d’autonomie fourragère et augmentation des coûts, manque de main d’œuvre et de disponibilité pour un suivi optimal des troupeaux, coût d’entretien des parcelles…). La réponse se trouve davantage dans une meilleure rationalisation de l’utilisation de l’espace, une recherche de l’autonomie fourragère et une réelle dynamique de renouvellement des générations. L’aménagement et l’organisation du foncier apparaissent donc comme le cœur de cette problématique.
La réponse « AFP »
Créé en 1972 pour faire face au morcellement et à la taille très réduite des propriétés en zone de montagne, le dispositif des Associations Foncières Pastorales permet de réunir, au sein d’un périmètre défini, les propriétaires de terrains (à vocation pastorale, agricole ou forestière) et les collectivités territoriales. L’AFP devient alors l’interlocuteur privilégié et permet de maîtriser le foncier, par différents types de projet répondant aux attentes de leur territoire. Le foncier public et privé réuni dans l’AFP peut ainsi être mis à disposition de groupements pastoraux, ou à d’autres personnes physiques ou morales, par le biais, par exemple, d’une convention pluriannuelle de pâturage ou de baux ruraux. Cette capacité à organiser des sortes de « remembrements d’usage » est l’outil parfait pour s’affranchir des contraintes liées à des parcelles trop petites. En effet, sans toucher à la propriété, l’AFP redistribue les terres de son périmètre de manière optimale à ses différents utilisateurs. En réorganisant l’espace, louant des parcelles abandonnées, elle est ainsi en mesure de constituer des îlots cohérents adaptés à une exploitation moderne et performante, tout en répondant à la problématique de la précarité de l’accès au foncier. « La sécurisation des parcellaires amène les exploitants à s’investir pleinement dans l’exploitation et l’entretien des parcelles, ce qui améliore la stabilité des structures agricoles », précise Leslie St Geniez. « Tout le monde s’y retrouve puisque cette sécurisation rend la transmission des exploitations plus facile et que les propriétaires qui s’engagent dans une contractualisation formelle avec leurs exploitants sont assurés du paiement régulier et pérenne d’un loyer et d’un meilleur entretien des parcelles. »
Dernier atout, L’AFP peut répondre aux besoins d’aménagement de ces parcellaires (rénovation et/ou création d’accès, remise en état de parcelles, mise en place de clôture, installation de points d’eau,…). Sa capacité à réaliser des travaux de plus ou moins grande envergure permet de mener des programmes cohérents d’aménagement sur des parcelles même privées. De plus, son organisation collective rend l’AFP éligible aux crédits destinés aux améliorations pastorales et elle peut ainsi bénéficier de financements publics importants.
Le succès du pastoralisme passe par les élus
« Il n’est jamais facile d’aborder les problématiques de foncier », reconnaît Francis Ader. « Ils sont souvent la cause de litiges qui bloquent toute mise en place de projets territoriaux. La création d’une AFP est donc un sujet très sensible. Il faut du courage pour lancer et mener ce projet à terme. C’est là que les élus locaux doivent être des partenaires et des facilitateurs. » De fait, une pédagogie de tous les instants doit être mise en place pour convaincre du bien fondé de la démarche et démontrer qu’elle a pour but de servir les intérêts de tout le monde. Les maires et les conseillers municipaux, de par leur implication et leur connaissance du terrain et des hommes, sont alors de formidables relais. Un message qu’a bien entendu Jean-Luc Brouillou, sous-Préfet de St Gaudens présent à cette journée. « Nous avons fréquemment des questions de maires ou élus sur ce dispositif », déclarait-il en aparté. « Voir un exemple concret et rencontrer les agriculteurs et Présidents d’AFP aujourd’hui va permettre à mes services de mieux répondre et convaincre ces élus de l’importance de cette gestion commune du foncier. » Les expériences passées ont démontré que la réussite d’un tel projet repose sur un engagement fort des élus, mais aussi de l’ensemble des acteurs concernés. Il est donc nécessaire que cet engagement soit constant et qu’un groupe solide porte le projet qui redynamisera fortement leur commune. « Le plus difficile est bien évidemment de concilier au mieux les attentes de tous (élus, propriétaires, éleveurs, usagers de l’espace…) », insistait Cédric Labarre, éleveur et Président de l’AFP d’Arguenos. « Il y a 40 ans, quand le projet a démarré, la municipalité a dû passer en force pour le faire valider. Avec raison puisqu’aujourd’hui, sur les 170 propriétaires du périmètre de notre AFP, 168 font partie du Conseil d’Administration. C’est la preuve que tout le monde s’y retrouve. Mais avec le recul, on voit qu’il est préférable, pour lancer une AFP, que l’équipe qui la pilote soit dirigée par un non-agriculteur, quelqu’un qui soit au-dessus de la mêlée. »
Après une matinée dédiée à la présentation du dispositif et à la visite de l’AFP d’Arguenos, l’après-midi était consacrée à un tour de table des élus présents pour répondre à toutes les questions qu’ils pouvaient se poser sur les modalités de mise en œuvre d’un tel projet. Pour ce faire, étaient présents les techniciens et le service juridique de la Chambre d’Agriculture 31, les responsables « service territorial » et « service pastoralisme » de la DDT et 5 Présidents d’AFP du département. Au final, une journée d’échanges et de discussions enrichissantes pour des élus curieux et désireux de s’impliquer dans l’aménagement du foncier agricole et pastoral de leur secteur. « Ce sont des projets de longue haleine », concluait Francis Ader. « Certains chantiers prennent 15 ans pour se concrétiser. Il n’y a que 7 AFP* en Haute-Garonne actuellement. En Ariège, 15 ont été créées en 10 ans. Ce département a entamé les démarches quand la situation était critique chez eux. En Haute-Garonne, nous avons aujourd’hui atteint ce même point de crise. Il est donc urgent que tout le monde, élus, agriculteurs et propriétaires, se mobilise. Nous le devons aux enfants de notre pays. »
* Arguenos, Artigue, Burgalays, Gouaux de Luchon, Lez, Moncaup et Saccourvielle.
Comment constituer une AFP ?
L’association foncière pastorale autorisée par le Préfet, est la forme juridique la plus aboutie. Elle est constituée lorsque 50% des propriétaires possédant plus de 50% des surfaces donnent leur accord. Si une collectivité est propriétaire dans le périmètre, seule la règle des 50% de surfaces est nécessaire.
Les AFP autorisées sont des Établissements Publics à Caractère Administratif. Dans ce cas, les règles de la comptabilité publique sont appliquées.Comment fonctionne une AFP ?
L’Assemblée Générale constitutive réunit tous les propriétaires inclus dans le périmètre de l’AFP autorisée et permet d’acter la création de l’AFP. Ensuite, les AG sont constituées de tout ou une partie des propriétaires en fonction des statuts. Elle délibère sur les propositions soumises par le syndicat.
Le syndicat est le véritable organe de gestion de l’AFP autorisée. Les statuts doivent définir sa composition. Il agit sous contrôle de l’Assemblée Générale à laquelle il doit soumettre la plupart de ses décisions. Il assure le fonctionnement quotidien de l’AFP. Le syndicat élit un Président, qui représente l’association.
Le Préfet assure un contrôle de légalité sur le fonctionnement et les décisions des AFP autorisées.
Commentaires fermés.