Publié le 18 avril 2014
L’agriculture et l’innovation en Europe. C’est sur ce thème on ne peut plus actuel que s’est tenu le Printemps du pôle de compétitivité Agri Sud-Ouest Innovation, le 10 avril dernier à Labège. L’occasion de faire le bilan annuel des performances du pôle mais aussi de se pencher sur les orientations à prendre pour demain. Dans un amphithéâtre comble, cette rencontre a été marquée par trois temps forts : le renouvellement de l’équipe de direction, la remise du x des lycéens et un débat avec l’invité d’honneur du jour, Xavier Beulin, Président de la FNSEA.
Alain Chatillon passe le relais
Il en avait parlé il y a peu, c’est désormais officiel : Alain Chatillon quitte la présidence d’Agri Sud-Ouest Innovation. « Occupant cette fonction depuis la création du pôle en 2007, j’ai aujourd’hui atteint les objectifs que le bureau s’était fixés », expliquait-il en ouverture. « J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec son directeur, Patrice Roché, et l’équipe d’Agri Sud-Ouest Innovation qui ont fait un travail remarquable. Mais il faut savoir passer le témoin au bon moment et dans les bonnes conditions. Avec le « Gold Label » européen qui nous a été décernés en début d’année, je sais que le pôle est bien sur les rails. Son mode de fonctionnement plébiscité, sur le principe des agrochaînes, la performance confirmée des projets qu’il a labellisés et des entreprises qui le composent, sont les preuves qu’Agri SOI répond aux besoins de notre territoire. Il a donc de beaux jours devant lui. » Mais Alain Chatillon ne va pas s’éloigner pour autant. Il reste administrateur jusqu’à son renouvellement en avril 2015. C’est Daniel Segonds, Président du conseil de surveillance de la RAGT, qui a été élu à sa suite. Pour assumer pleinement cette nouvelle fonction, cet ingénieur agronome aveyronnais, qui a fait toute sa carrière dans le secteur des semences, quitte la présidence du GNIS, qu’il assurait depuis 2011. Pour son 1er discours de Président de pôle, il a réaffirmé sa volonté de poursuivre l’action engagée par son prédécesseur, selon les 3 grands axes que le pôle s’est fixés pour l’avenir : améliorer l’efficience des systèmes de production (notamment le machinisme agricole), favoriser la réduction des intrants et développer l’agro-raffinerie (comme les bioplastiques). Le changement ne s’arrête pas là puisque Patrice Roché, également directeur du pôle depuis le début, a lui aussi annoncé son départ, prévu pour la fin du mois.
Les étudiants donnent leur avis
C’est devenu une tradition. Futurs professionnels des filières agricoles et agro-alimentaires, des élèves de Terminale et BTS de 12 lycées agricoles et généraux d’Aquitaine et Midi-Pyrénées* ont élu, parmi des dossiers sélectionnés, le projet labellisé qui leur semblait le plus prometteur. Cette année, trois projets novateurs et surprenants leur étaient présentés.
Le projet Inno’Pom, tout d’abord, a pour but de proposer une filière Pomme de qualité sanitaire supérieure, sans résidus phytosanitaires détectables, qui soit compétitive sur les marchés européens. Ce projet regroupe chercheurs et entreprises œuvrant dans les divers secteurs d’activités de la filière (production, expédition, conditionnement, conservation et tri). Neoramus s’attaque, lui, au problème des rongeurs nuisibles qui causent, chaque année, la perte de 10 à 20% de la production céréalière. Avec une approche innovante, mêlant un panel de biocides nouveaux et des stratégies de lutte basées sur le comportement des rongeurs, l’objectif est de remplacer des molécules à large spectre et vieilles d’un demi-siècle, et développer des solutions compatibles avec les futures contraintes réglementaires sur les biocides, tout en offrant un avantage concurrentiel aux opérateurs économiques du projet. Le dernier projet présenté est le seul à être achevé. Porté par Vinovalie, Vinnéo est typique du principe des agrochaînes. Après études, les acteurs du projet ont déduit que les consommateurs de vin des nouveaux marchés mondiaux (Asie et Amériques) veulent un produit identique d’une année sur l’autre, avec un nez de cassis. Ils ont travaillé à développer des outils technologiques innovants et à les mettre en œuvre pour élaborer une gamme de vins de cépages autochtones du Sud-Ouest, avec des qualités gustatives et des profils sensoriels répondant à ces exigences. Avec succès puisqu’avec les nouvelles gammes qui ont découlé du projet, Vinovalie a triplé son chiffre d’affaires export en 3 ans.
C’est le projet Inno’Pom qui a remporté les suffrages des étudiants. Ils ont remis le Prix des Lycéens 2014 à Claude Rehlinger, Président de la société montalbanaise Blue Whale qui a initié le projet.
Xavier Beulin répond aux entrepreneurs
Dernier temps fort de ce Printemps d’Agri SOI, le Président de la FNSEA était venu débattre sur l’innovation en agriculture, ses potentiels et ses freins pour ouvrir les portes des marchés européens aux entreprises françaises. Pour ce faire, 6 chefs d’entreprise étaient conviés, lors d’une table ronde, à poser chacun une question à Xavier Beulin. Animés par le journaliste Jean-Christophe Giesbert, ces échanges ont été marqués par des questions très directes des professionnels et même d’un étudiant, et par les réponses tout aussi franches et sans détour de la part de Xavier Beulin (voir article ci-dessous). En préambule de la table ronde, ce dernier avait tenu à rappeler quelques vérités sur l’agriculture et l’agroalimentaire, profitant notamment de la présence dans la salle de Martin Malvy, Président du Conseil Régional Midi-Pyrénées, et du vice Président de la région Aquitaine, en charge de l’agriculture, Jean-Pierre Raynaud. « À l’heure où on parle de Pacte de Responsabilité, il faut rappeler que nous sommes tous coresponsables de l’avenir de notre pays », déclarait-il. « Comme le montrent à nouveau les résultats de ce pôle de compétitivité, l’agriculture et l’agroalimentaire ont leur rôle à jouer. 3,5 millions d’emplois dépendent ces 2 secteurs, en France. C’est deux fois ce que représente le secteur de l’automobile ! Si la balance commerciale de la France est de -70 milliards €, l’agriculture et l’agroalimentaire sont en solde positif de 12 milliards. Nous sommes le 1er poste d’exportation, devant l’aéronautique. Le rapport Louis Gallois précise bien que quand on vend un Airbus à l’étranger, on exporte 20% de valeur nette issue de notre territoire. Un produit agricole ou agroalimentaire, c’est 80%… Donc si l’on veut un réel redressement productif, le secteur agricole et agroalimentaire peut y répondre. L’administration a identifié 60 à 70.000 emplois, actuellement non pourvus dans ces domaines. Alors qu’on nous donne les moyens d’y parvenir, en libérant les PME et ETI de ce pays, plutôt que de nous tirer des balles dans le pied comme on sait si bien le faire. »
Un discours et un débat qui ont ravi le public, à en juger par les applaudissements qui ont conclu une édition stimulante de ce Printemps d’Agri Sud-Ouest Innovation.
* Agen, Auzeville, Bergerac, Blanquefort, Bordeaux, l’Isle Jourdain, Mirande, Montauban, Pau, Périgueux et Ste Affrique
- 2 régions : Aquitaine et Midi-Pyrénées ;
- 302 adhérents en 2013, dont 95% de PME et d’ETI ;
- 286 projets labellisés ou agréés, pour un montant total de 635 M€ d’investissement ;
- 14 relais départementaux ;
- des partenariats internationaux avec 10 clusters d’excellence ;
- 100 millions d’euros de subventions publiques obtenues depuis 2008 ;
- un budget de fonctionnement 2013 de 1,4 million d’euros ;
- la création de plus de 2.600 emplois entre 2007 et 2013 pour les entreprises adhérentes.
6 questions à Xavier Beulin, Président de la FNSEA
Yves Bertrand, producteur de fraises et gérant des Pépinières Martaillac (47) : L’Allemagne, l’Espagne et l’Angleterre développent des unités de production de fruits rouges de 2.000 à 2.500 T moyenne, contre 30 à 50 T en France. Ces gros opérateurs ont une plus grande facilité d’accès au marché et une plus grande réactivité que nos OP. Que pense la FNSEA du modèle économique choisi par la France ?
Xavier Beulin : La France revendique un modèle basé sur des exploitations à taille humaine. Difficile de dire si ce choix est bon ou mauvais. Nous devons compenser par l’innovation et la qualité, deux domaines où nous excellons. Le fonctionnement de nos OP doit être optimisé pour pouvoir atteindre une taille critique permettant de répondre aux appels d’offre. Le problème se trouve plus dans un rapport de force très défavorable pour nous avec, d’un côté, 5 acheteurs de la grande distribution en France, et de l’autre, 12.000 entreprises de transformation et 400.000 exploitations. C’est là que nous avons besoin que le Gouvernement prenne enfin position et fasse cesser les pratiques inacceptables de ces enseignes.
En termes de production, il faudra résoudre les distorsion de concurrence avec nos voisins. Un coût horaire de la main d’œuvre 4 à 6 € plus cher que l’Allemagne, c’est rédhibitoire pour la compétitivité de nos produits.
Enfin, on aime bien opposer les choses en France : céréaliers et éleveurs, bio et conventionnel, petit et gros producteur, filière courte et longue, etc. Cela n’a pas de sens. On a besoin de tout le monde. Il faudra que nous acceptions un jour que les entreprises positionnées sur les marchés européens ou mondiaux puissent atteindre un standard de production compatible avec la compétition internationale.
Michael Ehmann, gérant de Nataïs, leader européen du pop-corn (32) : Les petite filière ne sont pas souvent bien représentées en France. Comment la FNSEA prend en compte ces secteurs relativement confidentiels ?
Xavier Beulin : La diversité des productions agricoles est la marque de l’excellence française. Mais encore une fois, nous ne jouons pas toujours à armes égales. Il y a, par exemple, de grosses différences de réglementation entre France et États-unis, notamment sur les traitements de semences, où Écophyto interdit certaines matières actives, ce qui handicape fortement nos cultures de maïs pour le pop-corn.
Ensuite, derrière ces petites filières, se pose la question cruciale de l’étiquetage. L’Europe refuse toujours la mention de l’origine des produits agricoles dans les produits élaborés, pour cause de distorsion de concurrence. Nous réclamons de pouvoir donner ces information au consommation, qui choisira de favoriser (ou non) les productions locales.
Et si nous avons des avantages compétitifs, comme notre technicité ou notre contexte pédoclimatique, il faudra quand même régler ce mal français qui veut qu’on regarde tomber l’eau tout l’hiver, sans avoir le droit d’en capter une partie pour les périodes sèches. Tout ça parce que le maïs, aujourd’hui, et le soja, demain, seraient des cultures maudites qu’il faudrait remplacer par on ne sait toujours pas quoi…
Nicolas Colliot, contrôleur financier Europe chez Syngenta
La France, et l’Europe en général, se privent de l’accès aux biotechnologies pour des raisons plus idéologiques que scientifiques. Il y a un risque réel de perte de compétitivité. Comment sortir de cette impasse ?
Xavier Beulin : Il faut sortir du débat « pour ou contre », qui n’a aucun sens. Il n’y a pas que les OGM dans les biotechnologies et tout refuser en bloc est ridicule. Je milite pour une approche plus critique : risques/bénéfices pour le citoyen, le producteur, l’environnement, etc.
Mais nous avons été victimes d’un deal « nucléaire contre OGM/phytos » entre le gouvernement et les écologistes, lors du Grenelle de l’environnement. J’ai fait partie du Haut Conseil aux Biotechnologies. Les travaux et échanges ont été extrêmement intéressants. Mais le rapport qui a été présenté au public ne correspondait en rien aux conclusions du Haut Conseil ! Vu que tout était écrit d’avance, j’ai claqué la porte. Ou bien, on fait un minimum confiance aux scientifiques, ou bien on reconnaît qu’on est dans le dogme.
La solution prendra du temps. Elle viendra de notre capacité, et celle de nos jeunes, à nous investir dans les sciences humaines et sociales. Nous avons pourtant des instituts techniques et des laboratoires de recherche de premier ordre, et un potentiel énorme qu’on ne sait pas expliquer à nos concitoyens. Il va nous falloir de la pédagogie et du travail de terrain pour faire évoluer les mentalités. La FNSEA milite enfin pour introduire un principe d’innovation dans la Constitution, qui serait adossé à celui de précaution.
Jean-Claude Chibarie, producteur de soja tracé (31) : Nous sommes ici dans le berceau de la filière soja, avec beaucoup d’atouts pour cette culture (production, transformation, soutiens politiques,…). Savez-vous s’il y aura un recouplage de l’aide soja et si oui, quand et de quel montant ?
Xavier Beulin : Il y aura 9 milliards d’être humaine de plus à nourrir en 2050. Et le vrai défi sera celui des protéines végétales. Sans pouvoir répondre si précisément, nous espérons donc bien obtenir un soutien supplémentaire à l’ha pour le soja, au titre des protéagineux, pour encourager la production. Ensuite, pour répondre au défi protéine, il faudra mettre le paquet en matière de la recherche en génétique, d’amélioration des variétés et du process de production. C’est un travail que nous poursuivons avec la filière Soja doit. Et elle peut compter sur Sofiprotéol et filière oléoprotéagineux pour continuer à appuyer ce dossier crucial.
Régis Fournier de Delpeyrat
Avec 4.500 producteurs sur Aquitaine et Midi-Pyrénées, la « petite » filière canards est très importante pour l’économie régionale, avec son produit phare, le foie gras, qui est de plus en plus ciblé par des opposants à l’élevage et à la consommation de viande. La filière Foie Gras a pourtant investi près de 100 millions € pour le bien-être animal, ces dernières années. Quelle est votre position sur ce dossier ?
Xavier Beulin : Il y a beaucoup de militantisme sur le bien-être animal. Mais le consommateur est libre de choisir ce qu’il mange. Faut-il condamner une filière parce que certains concitoyens n’aiment pas l’élevage ? Pourtant, ils se font entendre et notre réponse, trop « rationnelle » ou scientifique, est inaudible. Il faut nous mettre sur le même terrain et investir auprès des jeunes et des médias par tous les moyens possibles. Nous avons constitué un groupe de travail sur le bien-être animal, avec des chercheurs et des entrepreneurs. Mais il nous manque des élus pour faire contrepoids à des politiques comme Madame Jouanno, qui nous a fait beaucoup de mal avec son colloque très mal venu dans l’enceinte du Sénat sur le statut de l’animal. Dans leur immense majorité, les éleveurs aiment leurs animaux. Mais eux ne les confondent pas avec leurs proches. Le Code Rural sanctionne très sévèrement la maltraitance des animaux et leur reconnaît leur nature d’êtres sensibles. Il n’y a aucun besoin d’aller au-delà.
Claude Rehlinger, Président de Blue Whale (82)
60% de la production de fruits et légumes vient d’Asie. Or les contraintes non tarifaires (normes) que nous avons ne sont pas celles des pays qui nous approvisionnent. Sans aucune garantie sanitaire et avec trop peu de contrôles aux frontières, les accidents sont fréquents. Comment la FNSEA compte combattre cela ?
Xavier Beulin : Il y a 400 points d’entrée dans l’Union Européenne. Les contrôles phytosanitaires doivent y être renforcés, sinon on laisse rentrer tout et n’importe quoi. Mais au-delà de ça, se pose la question des « usages mineurs ». Pour les petites productions, il n’y a plus d’homologation de matières actives par les firmes. Or, elles en ont un besoin crucial.
De manière générale, nous prônons une réglementation plus drastique des importations, non pas sur les questions tarifaires, mais bien sur la question sanitaire, au travers des Autorisation de Mise sur le Marché. Sur ce sujet de fonds, l’Europe devrait être en pointe. Pourtant, on voit qu’à l’intérieur même de l’Union Européenne, il y a déjà des distorsions entre les usages autorisés…