Publié le 13 octobre 2011
La crise économique est au cœur de l’actualité agricole et générale depuis bientôt 2 ans. On ne compte plus les dossiers, conférences, articles, émissions TV ou radio à ce sujet. À la limite de l’indigestion, vous pensiez avoir entendu tout ce qu’il y avait à en dire, qu’on avait déjà fait 15 fois le tour de la question. Et pourtant… Le CER FRANCE 31 a de nouveau surpris et ravi les participants à la désormais traditionnelle « Soirée CER FRANCE Entreprise », le 4 octobre dernier, à Purpan. Sur le thème « Et après les crises, quelles perspectives ? », l’invité de cette année, l’économiste Marc Touati, s’est livré à une analyse mordante des mécanismes de la crise et des réponses qui y sont apportées par nos instances politiques et financières. Certes, le tableau dressé par Marc Touati sur la façon dont est gérée l’Europe avait de quoi faire frémir. Mais la soirée aura en tout cas permis à tous d’ouvrir un peu plus les yeux sur une situation qui ne doit rien à la fatalité et sur les chantiers à mettre en œuvre si nous voulons avoir une chance de nous sortir de l’ornière où la France et l’Europe s’embourbent. Un discours salutaire, loin des déclarations consensuelles voire utopiques de nos médias et politiques.
Savoir sortir des crises
Marc Touati est catégorique : les crises sont inévitables et font partie de la vie économique. Une fois accepté ce fait, il faut juste savoir comment les prévoir, réagir et rebondir. La crise de 1929 a au moins eu l’avantage de montrer les erreurs à ne pas commettre. Ce qui explique que la grave crise de 2009 a pu être surmontée en sauvant les banques, en cherchant des parades au niveau mondial au lieu de se replier sur soi, en gardant les taux d’intérêt à un niveau raisonnable et en instaurant des relances budgétaires et monétaires massives, de l’ordre de 5.000 milliards de dollars. Mais les bonnes nouvelles s’arrêtent là, pour l’Europe du moins et les États-Unis dans une moindre mesure. Car si les pays émergents ont bien supporté le choc et voient leur croissance repartir, l’Europe reste sur place, voire même donne des signes très inquiétants d’une nouvelle récession. Pour quelles raisons ? « Il faut bien rembourser ces 5.000 Mds », explique Marc Touati. « Mais pour y arriver, il faut générer une croissance économique suffisante, ne serait-ce que pour payer les intérêts de cette dette. Sans croissance, il faudra encore s’endetter pour rembourser. C’est l’effet boule de neige qui nous conduit tout droit à une grave crise de la dette publique. En Europe, seuls l’Allemagne, le Luxembourg et les Pays-Bas ont une croissance positive. Et la question est : pour combien de temps ? Car depuis 2008, la Banque Centrale Européenne (BCE) et les dirigeants politiques et monétaires prennent des décisions absurdes, à l’encontre du bon sens. » Selon l’économiste, l’Europe a une peur irrationnelle de l’inflation, alors qu’il juge qu’une inflation contenue de l’ordre de 3,5% associée à une croissance de 3% en volume vaut bien mieux qu’une inflation zéro, voire négative et une petite croissance de 1%. « La déflation est le pire des scénarii », insiste-t-il. « C’est ce qui est arrivé au Japon dans les années 90 et le pays ne s’en est jamais remis. On ne peut pas sortir sans casse majeure d’une spirale déflationniste. Pourtant, la BCE fait tout ce qu’il faut pour nous y conduire. En pleine crise de 2008, elle a par exemple décidé de remonter ses taux d’intérêt quand, dans le même temps, la Banque Fédérale américaine décidait de les laisser au minimum jusqu’en 2013 ! Donc depuis quatre ans, la bulle de la dette s’installe et s’amplifie, surtout dans une zone euro structurellement menacée par l’absence d’une gouvernance fiable et crédible depuis sa création. Ses erreurs sont toujours les mêmes : arrogance, dogmatisme, politique monétaire trop restrictive, taux de change surévalué, explosion de la dette publique. Le tout sur fond de croissance molle. »
Les pays émergents en embuscade
Les faits sont là : les pays émergents et notamment les deux poids lourds que sont la Chine et l’Inde bénéficient, eux, d’une croissance soutenue depuis une décennie. Ils ont non seulement mieux résisté à la crise mais sont aussi en passe de prendre l’avantage dans la part qu’ils ont de la production des richesses de la planète. En 2012, pour la première fois dans l’histoire du monde moderne, plus de 50% du PIB mondial seront générés par les anciens « pays en voie de développement ». La Chine à elle seule en représente 13%, soit presque autant que toute l’Europe, et sur les 3% de croissance mondiale l’an passé, 1,2% sont imputables aux chinois… Il faut également prendre en compte que la Chine s’est constituée une réserve de change de l’ordre de 3.197 milliards de dollars ! « Les pays qu’on appelle désormais les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) sont ceux qui ont le cash maintenant », souligne l’économiste. « Ils sont capables de venir en aide aux pays soi-disant développés en rachetant une partie de leurs dettes, comme ils l’ont récemment proposé. Et ça ne sera pas par bonté d’âme mais en contrepartie d’actifs de ces pays. Si on ne sort pas rapidement de la crise, il faut s’attendre à voir dans les mois et années qui viennent de plus en plus de rachats d’entreprises européennes par ces pays. Avec les bourses internationales qui perdent la tête, de nombreux fleurons industriels sont cotés à moins de 30% de leur valeur réelle. Si les européens ne sont pas capables de se mettre d’accord, la saison des soldes va bientôt commencer ! » Pour Marc Touati, rejeter toute la faute sur les marchés financiers et la spéculation est un peu trop facile. En s’endettant de façon inconsidérée et en empruntant toujours plus sans tenir leurs engagements de réduction des finances publiques, nos États se sont mis en position de grave dépendance vis-à-vis des créanciers qui, maintenant, s’inquiètent de la situation et demandent des comptes. « C’est la mauvaise gouvernance de l’Europe qui est à l’origine de cet excès de pouvoir des marchés financiers et non l’inverse », assène-t-il.
Tout n’est pas perdu…
Malgré ces analyses alarmantes, Marc Touati voit quand même quelques solutions pour que la France et l’Europe tirent leur épingle d’un jeu mondial en voie de complète réorganisation. Tout d’abord, redevenir crédible aux yeux des créanciers. « Plutôt que de jeter de l’huile sur le feu, il faut que les responsables de la finance européenne se fixent un cap et donnent une direction aux marchés, pour les rassurer sur notre volonté de revenir dans un cercle vertueux de croissance. » En prenant l’exemple de la France, l’économiste estime qu’il faut absolument redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs et des moyens d’investir aux entreprises. Pour cela, il n’y a pas de miracle. Il faudrait baisser les impôts de l’ordre de 70 milliards/an pour être dans la moyenne des pays européens et redonner du souffle à l’économie. Mais pour que notre système tienne le coup, il faudrait dans le même temps baisser les dépenses publiques. « Et cela, aucun parti politique ne voudra jamais en parler », regrette-t-il. « Pourtant, il y a des économies énormes à réaliser avant de toucher aux dépenses sociales. Savez-vous que depuis 10 ans, en France, les frais de fonctionnement de l’État augmentent chaque année de 10 milliards d’euros ? Cela fait 100 milliards € de dépenses publiques en plus cette dernière décennie, soit 5 fois le Grand Emprunt ! Nous n’avons donc pas forcément besoin de Moins d’État mais plutôt de Mieux d’État. »
Ensuite, il faut renouer avec une croissance économique. « En 1991, c’est le boom d’internet et la révolution informatique qui ont permis de sortir de la crise », rappelle Marc Touati. « Aujourd’hui, il faut innover dans ce qui génèrera la croissance de demain, c’est-à-dire les nouvelles technologies de l’énergie et de l’agroalimentaire. La crise pétrolière d’il y a 2 ans, les émeutes de la faim et l’augmentation de la démographie mondiale prouvent que ces technologies ont un potentiel économique exceptionnel. Pour un pays développé comme le nôtre, être à la pointe dans un secteur en pleine révolution est la seule façon de conserver un avantage concurrentiel décisif. Malheureusement, la France, qui avait 10 ans d’avance dans les années 90 en matière de recherche et développement sur l’agroalimentaire, a désormais 10 ans de retard grâce aux José Bové et consorts. » Pour l’économiste, il n’est néanmoins pas trop tard. La France a toujours un savoir-faire reconnu et peut relancer la machine. Pour cela, il faut redonner aux français une culture économique. Mais pour lui, il ne faut compter ni sur nos politiques, ni sur les médias, ni sur l’éducation nationale pour enseigner la « vraie » économie. « Cela devra se passer au sein de nos entreprises », plaide-t-il. « Ce que j’appelle « l’intraprenariat » passe par une structure d’entreprise plus transparente, un actionnariat salarié qui les responsabilise et leur fera comprendre que la bonne marche de leur entreprise détermine leur avenir et celui de leur pays. Si les allemands ont su le faire, pourquoi pas nous ? »
Les échanges qui ont clôturé cette soirée exceptionnelle ont permis à l’intervenant de conclure sur une note optimiste. « Malgré notre contexte français avec ses charges et sa frilosité à l’export, nous avons tout de même d’excellentes entreprises », estime-t-il. « Il ne tient qu’à nous de nous prendre en charge, de ne pas attendre trop de l’État mais de nous créer les occasions de rebondir. En donnant l’exemple à nos dirigeants, peut-être les déciderons-nous à davantage se bouger. » Une philosophie qui ne pouvait que plaire au CER FRANCE 31…