Publié le 21 novembre 2010
On avait déjà entendu l’expression, mais Marie-Annick Merelle, ingénieur Études au CER France 31, a démontré, chiffres à l’appui, que l’année 2009 pouvait vraiment être qualifiée d’ « année noire » pour les agriculteurs de Haute-Garonne. Avec la présentation annuelle des comptes de l’agriculture départementale, le CER France 31 a institué un rendez-vous désormais incontournable pour tous les responsables du monde agricole qui souhaitent avoir une idée précise de la situation économique des exploitations en Haute-Garonne.
Le 16 novembre dernier, c’est donc une quarantaine de personnes qui est venue assister à l’analyse de ces comptes 2009-2010, filière par filière, au siège du CER France 31 à Muret.
Les chiffrent parlent d’eux-mêmes
Marie-Annick Merelle s’est appuyée sur un échantillon de 900 exploitations haut-garonnaises pour réaliser son exposé. Cela représente environ 25% de la SAU départementale, à raison de 113 ha par exploitation en moyenne. Premier constat, le nombre d’élevages diminue puisque désormais 55% des exploitations sont à dominante polyculture. C’est sans doute pour cela que la ferme Haute-Garonne a été particulièrement touchée par la chute des cours des céréales et les très mauvais rendements de l’an passé. « Avec un résultat courant moyen de – 5.000 € en 2009, toutes filières confondues, c’est la première fois – depuis 15 ans que j’établis les comptes de l’agriculture départementale – que je vois une moyenne négative », déclare Marie-Annick Merelle. « Avec 15% de production en moins, une chute de 17% des ventes et des charges toujours élevées, une exploitation haut-garonnaise a, en moyenne, perdu 26.000€ de résultat courant par rapport à 2008. » Plus parlant, la présentation de l’EBE (Excédent Brut d’Exploitation) de fin 2009 pour les 3 grandes familles de production du département (céréales, lait et viande) témoignait de l’ampleur de la crise. L’EBE, c’est ce qui représente les ressources de trésorerie des exploitations. L’exploitant s’en sert pour prélever son salaire, payer ses annuités et autofinancer son entreprise. Le tableau de synthèse ci-dessous montre bien que la trésorerie est largement insuffisante pour couvrir ces trois postes et que l’activité céréalière est celle qui enregistre les plus fortes baisses. Dans la majorité des cas, les exploitants ont donc du puiser dans leurs réserves ou recourir à des emprunts à court-terme.
Production |
Céréales |
Lait | Viande |
EBE 2009 |
8.300 € | 27.000 € | 27.500 € |
Annuités |
16.300 € | 21.200 € | 16.800 € |
Résultat courant/Unité |
– 107 €/ha | – 10 €/1.000 l. | + 30 €/mère |
Résultat courant/Unité en 2008 | + 200 €/ha | + 60 €/1.000 l. | + 90 €/mère |
• En viticulture, il convient toutefois de distinguer les coopérateurs des chais particuliers. Avec 9.600 € de résultat courant contre 10.900 en 2008, les coopérateurs ont limité la casse. Mais si les indépendants font mieux que l’exercice précédent, ils sont toujours dans une situation très critiques puisqu’ils passent, en moyenne de -8.800 à – 2.600 € de résultat courant.
• En maraîchage, 2009 sera également une année de forte baisse de revenus, avec un EBE qui passe de 34.000 à 15.000 €/UTH pour les maraîchers spécialisés et de 23.000 à 10.000 €/UTH pour les autres.
• Exception notable dans ce tableau morose, la filière maïs semence est la seule qui réussit à maintenir son revenu… à condition d’être spécialisé. Les multiplicateurs produisant plus de 20 ha de maïs semence dégagent 49.000 € de résultat courant contre 60.000 en 2008. Ceux qui ont moins de 20 ha subissent par contre de plein fouet l’effondrement des cours de céréales et passent de 41.000 € de résultat en 2008 à seulement 2.600 en 2009.
Et demain ?
Marie-Annick Merelle insiste sur la caractéristique principale de la conjoncture : la variabilité. « Nous sommes entrés dans une ère où tous les paramètres sont variables », rappelle-t-elle. « Les rendements, les prix, les intrants sont autant d’inconnus qu’il faudra pourtant bien réussir à intégrer dans sa stratégie d’exploitation. » Car bien malin celui qui peut prédire de quoi demain sera fait. On se souvient des prédictions de 2007 à propos de prix durablement élevés… Le CER France 31 n’ayant, pas plus que les autres, de boule de cristal, il se contente d’observer les évolutions du marché et des activités de ses adhérents. Et d’en tirer les meilleures analyses. « En 2010, la situation tend à globalement s’améliorer », constate Marie-Annick Merelle. « Même chaotiques, les tendances des cours en céréales et lait sont à la hausse. L’incertitude plane par contre toujours sur le marché de la viande, du fait du coût de l’alimentation et de la reprise des négociations commerciales avec le Mercosur. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il faut se garder de tous côtés pour contenir les effets de ces fluctuations. » Pour cela, les conseils restent les mêmes. À savoir sécuriser le fonctionnement de l’exploitation. C’est-à-dire mettre en place des systèmes de couverture, par le biais d’assurances récolte, d’utilisation accrue des marchés à terme et de diversification des activités. « Il faut également profiter des bonnes années pour se constituer une épargne de précaution », rappelle Marie-Annick Merelle. « Il faut enfin maîtriser parfaitement ses coûts et saisir les opportunités pour innover. Connaître ses prix de seuils permet de savoir où se trouvent les marges de progrès : qualité, mécanisation, vente directe… et de fixer son prix de vente minimum. »
Jouer la carte de l’export
5e producteur mondial de blé, la France a des atouts à faire valoir auprès des importateurs étrangers. C’est pour faire le point sur les forces les faiblesses de la filière céréale française que le CER France 31 a invité Leandro Pierbattisti, de France Export Céréales, à apporter son témoignage.
En une heure, il a brossé le tableau des grands flux mondiaux de céréales et des positions de ses principaux producteurs, avant de se pencher sur les spécificités de la France. « L’export joue un rôle majeur pour la France », expliquait l’expert. « Sur 2 t de blé tendre produites, près d’une est exportée. En prenant en compte les échanges au sein de l’Union Européenne, nous sommes le 2e exportateur mondial, derrière les États-Unis?! Or, nos exportations au sein de l’UE baissent, alors que nous progressons sur les marchés des pays tiers. C’est dire si notre aptitude à l’export va conditionner l’avenir de notre filière. Nous avons récemment tiré profit de l’embargo russe sur ses exportations de blé, mais ce sont bien les pays de l’Est qui nous poussent hors de l’Europe. » Plus inquiétant, nos principaux clients hors UE sont le Maroc et l’Algérie, pays dans lesquels la Russie et l’Ukraine pourraient fort bien venir nous faire de l’ombre. Selon Leandro Pierbattisti, il nous faudra bien trouver de nouveaux partenaires pour conserver nos exportations au niveau actuel. Et pour ce faire, nous plier aux cahiers des charges exigés par ces pays. « La qualité de nos blés conditionnera nos succès à l’export », souligne-t-il. « Parmi les plus gros importateurs, des pays comme l’Égypte ou l’Iran demandent de très faible taux d’humidité et des teneurs en gluten entre 25 et 28%. Les mouchetures sont également rédhibitoires et il n’est pas rare de voir des cahiers des charges exigeant 1% maximum de moucheture. Si la France veut remporter ces marchés, il faudra se poser des questions à l’échelle de la filière. Qui va payer le séchage et le nettoyage des blés ? » En blé dur, par contre, l’horizon est plus serein. La production française est abondante et de qualité supérieure à ses concurrents européens (Italie & Grèce) et au 1er producteur mondial qu’est le Canada. Elle a su s’imposer en Europe et ses objectifs vers les pays tiers sont ambitieux.
Tout comme le CER France, Leandro Pierbattisti ne veut pas se risquer à prédire l’avenir. Le nombre de paramètres jouant sur les volumes de production est bien trop important pour donner une fourchette de prix sur les mois à venir. Raisonnablement confiant sur la tendance haussière, il encourage néanmoins les producteurs à ne prendre aucun risque sur la qualité des céréales. «?C’est ce qui nous permettra d’être compétitifs à l’export », insiste-t-il. « Il faut donc être prêts à profiter des moindres occasions pour nous placer. Cela ne se fera qu’avec des productions irréprochables. »